Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Noël von der Weid
Papiers sonores II

Aedam Musicae (2018) 224 pages
ISBN 978-2-919046-59-1
Jean-Noël von der Weid fait paraître le second volume de ses Papiers sonores

Il y a quelques mois, Jean-Noël von der Weid faisait paraître Papiers sonores dont nous ignorions alors qu’il serait suivi d’un second volume [lire notre critique de l’ouvrage]. À l’instar du premier, celui-ci approfondit les correspondances entre la musique et les mots, entre le son et la lettre, via une présentation rapide mais toujours efficace d’un compositeur, suivie d’une extrapolation littéraire à partir d’un opus choisi. « Lire les quarante textes qui le composent – à voix basse ou à voix haute –, explique l’auteur, c’est entendre les musiques dont ils s’inspirent. Le papier se fait sonore, clavier sans fin il appelle les sons, que l’on peut entendre, “en vrai”, au point que chaque mot, qui pétille, ricoche dans l’esprit et les sens. Le lecteur devient l’interprète de l’impénétré. […] L’entrelacs mots-sons suscite un émoi d’autant plus massif, que le mot trouve, mince et nu, grâce au son qui l’habille, une puissance prodigieuse et une magie dégrafée, nuancée, électrique ».

Avec deux figures du jazz (Dolphy, Holiday) qui se glissent parmi eux, les artistes retenus aujourd’hui sont nés au XVIe siècle (Dowland), aux XVIIe (Froberger, Jacquet de La Guerre, Rameau, Schmelzer), XVIIIe (Hoffmann, Schubert), XIXe (Alkan, Berg, Bizet, Chabrier, Chopin, Eisler, Mendelssohn, Moussorgski, Obouhov, Schreker, Sibelius, Stravinsky) et, principalement, au XXe (Antheil, Aperghis, Berio, Feldman, Ferneyhough, Holliger, Krenek, Kurtág, Lazkano, Mossolov, Nancarrow, Ohana, Oustvolskaïa, Radulescu, Saunders, Schaeffer, Schnebel, Vivier, Zimmermann). Certains sont des inventeurs (nouveau procédé de notation, usage de supports sonores inédits), en plus de repousser les frontières de l’art.

On retrouve ce qui fit le charme et l’originalité du projet initial, à savoir la présence de forces naturelles et culturelles qui alimentent « le ressac entre rationnel et irrationnel ». Les quatre éléments, dont l’eau demeure le principal, voisinent la flore et la faune (chouettes souffleuses de sable, babouins toboggans, etc.). Les couleurs sont nombreuses, qui renforcent une mosaïque assez gothique : cendres blanches, lierre noir, iris rouges, vent mauve, crapauds jaunes, cheval bleu, etc. À cet univers qui veut bien lui faire une place, l’homme apporte son imaginaire, sous forme de créatures mythologiques notamment (Érynie en balade, Parques faucheuses, Meidosem masqué, etc.). L’écrivain couronne le tout avec des images délectables, d’une cruauté dadaïste : oreilles d’hommes cimentées, cœurs cassés d’excès, abattoirs à bigots, mitrailleuse à cygnes, etc.

Parfois, Jean-Noël von der Weid renonce à faire jaillir des onomatopées, à sculpter des natures mortes autour d’instruments de musique, pour emprunter les mots d’autrui. Ainsi ses portraits sont-ils suivis d’extraits de textes littéraires (Colonna, Hoffmann, Jarry, Lorca, Sanguineti, sans oublier cet anonyme qui se présente comme l’Ombre de Lully), commentaires variés (ceux de Cocteau sur Le sacre du printemps, de Nietzsche sur Carmen, de Pound sur Ballet mécanique), correspondances traitant surtout d’esthétique (Alkan, Chabrier, Berg, Mendelssohn, Mossolov, Moussorgski) et journaux intimes (Delacroix évoquant l’amant célèbre de George Sand, Vivier ses propres tourments). Comme dans Le flux et le fixe (2012) [lire notre critique de l’ouvrage], l’essayiste plonge le lecteur dans un maelstrom qui le secoue de sa quiétude, un rien oppressant mais régénérant, pour finir.

LB