Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Noël von der Weid
Le flux et le fixe – Peinture et musique

Fayard (2012) 230 pages
ISBN 978-2-213-66855-0
Jean-Noël von der Weid explore les liens entre peinture et musique

La musique est maîtrise de la durée, la peinture celle de l’espace. Garante de splendeur, l’étanchéité de chaque savoir-faire est favorisée par la Renaissance jusqu’au terme du XVIe siècle, avant l’avènement des romantiques allemands qui s’attachent à décloisonner. À l’opposé de Leonardo da Vinci qui, parmi d’autres, oppose les arts de l’instant (peinture, sculpture) à ceux du temps (musique, poésie), respectivement liés à la vision et à l’audition, on trouve l’écrivain Ernest Theodor Amadeus Hoffmann écrivant : « l’odeur des œillets rouge sombre exerce sur moi un pouvoir étrange et magique : involontairement je sombre dans un état de rêve et j’entends alors, comme venu du lointain, les sons profonds du cor de basset » (Kreisleriana, 1814).

Fervent partisan du bel aujourd’hui [lire nos critiques de La musique du XXe siècle et Papiers sonores], Jean-Noël von der Weid explore d’emblée les correspondances (ou fusions, lisières, analogies) entre les arts associés au flux et ceux voués au fixe. Sans même parler des inventeurs qui veulent réunir couleurs et sons en un même objet, ni des collaborations ou des partitions hors normes, nombreux sont les peintres à tenir un instrument (Ingres, Kokoschka, Ensor, etc.) et les musiciens à prendre un pinceau (Schönberg, Hindemith, Schœller, etc.). Plus nombreux encore sont les peintres inspirés par une page musicale (Pollock/Parker) et les compositeurs cherchant à transcrire l’émotion d’une toile (Liszt/Kaulbach, Debussy/Watteau, Boulez/Klee, Rihm/Kirkeby, Sciarrino/Burri, etc.).

Nous ne sommes pourtant là que dans les premières pages de l’ouvrage… Avec un intérêt variable, nous suivons le musicologue dans son inventaire de divers sujets d’inspiration (par exemple le cosmos vu par Ives, Crumb et Grisey, ou le monde moderne jaugé par Kupka, Delaunay et Malevitch) et figures mythologiques (Orphée, Marsyas, Vénus, anges, saints, etc.), à travers différents âges, dont l’Antiquité grecque qui associait à l’éducation morale l’instruction artistique, et ces siècles experts à camper un marivaudage autour d’une leçon d’harmonie.

Sans cesse glissant d’un art à l’autre, d’une époque à une autre, sans souci de privilège ni de chronologie, Jean-Nöel von der Weid entraîne dans un tourbillon de « fluixité » au terme duquel s’affermit notre croyance dans le rôle vital de l’art pour l’être humain. Comme Picasso, voyons désormais dans la peinture « un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi ». Et comme Lévi-Strauss, décrétons la musique machine à supprimer le temps, puisque « en écoutant la musique et pendant que nous l’écoutons, nous accédons à une sorte d’immortalité ».

LB