Chroniques

par anne bluet

Jean-Féry Rebel
ballets sans paroles

1 SACD Caro Mitis (2006)
CM 0052005
Jean-Féry Rebel | ballets sans paroles

Parce que son père est ténor à Versailles, les dons du jeune Jean-Féry Rebel (1666-1747) sont remarqués dès ses huit ans par Louis XIV et Lully qui lui donne des cours de violon et de composition. C'est ainsi qu'il intègre les vingt-quatre Violons du Roi (1699), avant de devenir maître de musique à l'Académie royale de Musique. Entre 1718 et 1727, ce violoniste, claveciniste et chef d'orchestre réputé partage la charge de compositeur de la Chambre avec Michel-Richard Delalande – que sa sœur aînée épousera. Il remplace ensuite Louis-Antoine Dornel au poste de Maître de musique de l'Académie Française. Son fils François (1701-1775) profitera des avantages de la Cour pour suivre grosso modo la même carrière.

Si sa tragédie Ulysse (1703) connaît un beau succès, Rebel est apprécié avant tout pour sa musique symphonique, des sonates à deux ou trois parties (à l'italienne), dont il est un précurseur en France, ou encore ses Ballets sans paroles où se mêlent respect de la tradition (Les Caractères de la Danse, fantaisie, 1734) et innovation – le cluster introduisant Les Élémens, simphonie nouvelle (1737-38). Au siècle précédent, le ballet est en effet inséparable de la voix (comédie-ballet, tragédie lyrique, etc.) ou de l'accompagnement (danseurs avec guitare, triangle ou castagnettes). Vers 1740, il cherche son autonomie à travers la symphonie chorégraphique ou le ballet-pantomime. Désormais, la danse et le geste suffiront à raconter une histoire.

Ouvrant la voie à Rameau, Haydn ou Eybler, Les Élémens développe le thème baroque de la cosmogonie musicale. Après une saisissante ouverture composée en dernier (Le Chaos), neuf danses font se succéder des allégories, le cycle s'achevant sur l'apparition de l'Amour, symbole d'une harmonie entre les forces de la nature. Un précieux jeu de timbres constitue le cœur d'un sujet abordé pour sa « variété agréable » : la basse exprime la Terre, les flûtes imitent le murmure de l'eau, les violons représentent le feu, etc. Sans excès de tonicité, tout en demeurant toujours aussi étonnant, Le Chaos rencontre ici un souffle certain, magistralement entretenu tout au long de l'interprétation de l'ensemble russe Pratum Integrum, fondé en 2003. Ainsi la Chaconne s'y avère-t-elle allante et gracieuse, les Tambourin I et II nous entraînant joyeusement, bientôt suivis par une tendreSicilienne qui introduit l'aimable Air pour l'Amour, tandis qu'un Caprice conclut fastueusement cette belle suite. Si l'on connaissait les gravures de Reinhard Gœble et de Marc Minkowski, il faudra désormais également compter avec celle-ci.

Après une calme Boutade (1712) à trois (deux violes et du clavecin), on retrouve dans Les Caractères de la danse et Les Plaisirs champêtres (1734) musette, gavotte, chaconne et bourrée, ces danses bien connues dont plus d'un théoricien de la musique se sert pour expliquer les différents temps et mesures (rapides, à trois temps, à temps pair, etc.). Ce fort beau disque s'achève sur une Fantaisie (1729) qu'un Grave ouvre dans un recueillement saisissant auquel succède une Chaconne royalement pompeuse, délicatement contrariée par un Loure exquisément raffiné et bientôt conclue par un frais et souple Tambourin.

L'on présente souvent Les Élémens aux côtés d'œuvres d'illustres contemporains de Rebel : avec ce SACD, les musiciens de Pratum Integrum signe une introduction plus complète à l'univers du compositeur qu'on aimerait voir plus largement exploré par les grands patrons baroqueux.

AB