Chroniques

par laurent bergnach

Henri Béhar – Michel Carassou
Dada – Histoire d'une subversion

Fayard (2005) 264 pages
ISBN 2-213-62603-0
Dada – Histoire d'une subversion, par Henri Béhar et Michel Carassou

Au début du vingtième siècle, en Europe, plusieurs milliers d'hommes moururent chaque jour dans une boucherie sans précédent. Des artistes, bientôt réunis sous l'appellation Dada – le terme naît à Zürich, le 8 février 1916 –, contemplent ces vains massacres. « Et on devait écrire des vers bien limés, peindre des natures mortes ou des femmes nues ? » fulmine Raoul Hausmann.

Sans programme ni chef (à la différence du surréalisme qui avait son pape), le mouvement nourrit une révolte contre vérités et valeurs contestables, modes de pensées pernicieux, quitte à recourir au scandale – en novembre 1918, à Berlin, Johannes Baader monte en chaire pendant l'office dominical, pour annoncer que Dada sauverait le monde ! Parmi tant d'autres, Man Ray et Marcel Duchamp à New York, George Grosz à Berlin ou Kurt Schwitters à Hanovre souhaitent libérer l'individu de la croyance en des référents stables et immuables, des figures répressives et régressives. Pourtant, Dada proclame ne rien enseigner et ne vouloir convaincre de rien : souvent ambigu voire contradictoire, il veut juste désacraliser l'art, le confronter au hasard, à l'irrationnel, pour qu'il accompagne l'homme au quotidien. « En définitive, résume Hans Richter, nous désirions introduire une nouvelle espèce d'être humain auprès duquel il ferait bon vivre ».

Si la postérité a retenu ses peintres et ses écrivains, la musique eut pour Dada un rôle non négligeable dans la rencontre entre les artistes et le public, déjà depuis les premiers spectacles du Cabaret Voltaire, à Zürich. Si on joua Satie, Milhaud, Poulenc, Auric, la musique « absolument aléatoire » de Ribemont-Dessaignes, toute manifestation bruyante, voire agressive, est bonne à prendre, des grelots agités aux coups sur des boîtes en fer jusqu'à la grosse caisse, pour accompagner des lectures ou des actions proches du chahut. On citera en vrac une soirée russe accompagnée de balalaïkas, une autre consacrée à des chants nègres, un tour de chant expressionniste inspiré du cabaret viennois qui agrémenteront toutes sortes d'expériences dans le domaine poétique. Quand un article de manifeste réclame « la réquisition des églises pour des performances bruitistes et des interprétations de poèmes simultanés et dadaïstes », on mesure l'importance du son dans cet univers artistique.

De même la deuxième partie du livre résume-t-elle par son titre – L'explosion langagière – ces tentatives de poésie phonétique, avec le rire comme carburant. Avec nombre de portraits, de scènes et de citations, Henri Béhar et Michel Carassou rendent un hommage attachant aux ancêtres de John Cage et Pierre Henry.

LB