Chroniques

par michel slama

Georg Friedrich Händel
airs d’opéra

1 CD Linn Records (2014)
BKD 252
Le soprano Emma Bell chante onze airs d'opéra signés Händel

Linn Records nous propose aujourd’hui, dans ses rééditions echo, un récital du soprano britannique Emma Bell, consacré à Händel et enregistré en 2004. Après avoir emporté le Prix Kathleen Ferrier en 1988, cette chanteuse chouchou des Anglais possède un vaste répertoire, allant de Händel à Britten. Sur les plus grandes scènes du monde lyrique, elle a incarné les héroïnes les plus dramatiques. Mozart semble être son compositeur de prédilection, mais Emma Bell ne s’interdit pas Leonore de Fidelio (Beethoven), l’Agathe du Freischütz (Weber), l’Eva des Meistersinger von Nürnberg et l’Elsa de Lohengrin (Wagner), Mimi de La bohème (Puccini) et Madame Lidoine de Dialogues des carmélites (Poulenc). Hormis le présent récital, cette artiste a très peu enregistré : un programme Marx, Strauss et La petite renarde rusée de Janáček [lire notre critique du DVD].

C’est donc avec une certaine impatience qu’on attendait sa contribution à l’opéra händélien. Autant le dire tout de suite, la déception est de taille : la voix est ordinaire, semble très fatiguée et fâchée avec la justesse. Les aigus sont criés, les graves escamotés. Le style et les ornementations peu baroques frisent le mauvais goût. De plus, le Scottish Chamber Orchestra sur instruments modernes, dirigé par Richard Egarr placide et scolaire, ne fait rien pour l’aider.

Quelle idée de commencer par le pire avec le fameux Desterò dall’empia dite, extrait d’Amadigi [lire notre chronique du 28 mai 2008] ! L’air semble dépasser de loin les moyens de la cantatrice qui, fort sollicitée dans les aigus et les forte, s’avère tendue et essoufflée. On se souvient de Kiri Te Kanawa impériale et déchirante dans un récital entièrement consacré à Händel, The Sorceress, bande-son d’un film baroque paru il y a une vingtaine d’années chez Philips et dirigé de main de maître par Christopher Hogwood à la tête de son Academy of Ancient Music. Scherza in mar la navicella, extrait de Lotario [lire notre chronique du 15 juin 2005], est un océan d’ennui et de sérieux, comparé à ce qu’en fait Cecilia Bartoli dont c’est l’un des chevaux de bataille. Simplement passable est l’Orrida agli occhi miei d’Ariodante [lire nos chroniques du 14 mars et du 11 novembre 2007, du 23 mai 2011 et du 12 juillet 2014], avec des attaques curieuses et de laborieuses vocalises.

Les airs élégiaques sont plus acceptables, si l’auditeur averti oublie les grandes dames qui s’y sont illustrées. Si un peu d’émotion perce dans ce disque, c’est avec les deux airs de Rodelinda [lire notre chronique du 3 décembre 2011], Ombre, piante, urne funeste et Se'l mio duol non è sì forte, où notre cantatrice semble enfin à son aise dans les déplorations. Avec Sommi Dei et Barbaro, partirò de Radamisto [lire notre chronique du 6 février 2013], particulièrement dramatiques, elle retrouve des couleurs et une technique presque maîtrisée.

Pas de magie à attendre, en revanche, du célèbre Piangerò la sorte mia, extrait de Giulio Cesare in Egitto [lire notre chronique de la récente production toulonnaise]. Toute la malice de Cléopâtre est à rechercher ailleurs, Emma Bell et son chef la livrant au premier degré. De Rinaldo [lire nos critiques DVD des productions David Alden (Munich) et Robert Carsen (Glyndebourne), ainsi que nos chroniques du 21 mai (Sabine Hartmannshenn à Cologne) et du 27 mai 2011 (Louise Moaty à Lausanne)], il en va de même du très fréquenté Ah, crudel ! où l’ennui continue de régner, Emma Bell n’y faisant rien passer. Bilan : une voix peu phonogénique au service d’un récital inégal, malgré quelques passages émouvants à la durée un peu chiche (52’).

MS