Chroniques

par laurent bergnach

Félicien David
Herculanum

1 livre-disque 2 CD Ediciones Singulares (2015)
ES 1020
Hervé Niquet joue Herculanum (1859), grand opéra de Félicien David

Typique des compositeurs français de cette époque, la musique vocale est d’une grande importance chez Félicien David (1810-1876), lui qui, devenu orphelin, survit comme enfant de chœur à la maîtrise de la cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence. Maître de chapelle avant sa vingtième année, il livre des motets auxquels font écho mélodies prosélytes et hymnes à quatre voix, écrits pour la communauté saint-simonienne qu’il intègre à Paris. La capitale contribue à faire triompher ses œuvres d’envergure dans les genres certes proches mais variés que sont l’ode-symphonie (dont il est l’inventeur) – Le désert (1844), Christophe Colomb (1847) –, l’oratorio, le « mystère » – Moïse au Sinaï (1846), L’Eden (1848) – et l’opéra-comique – La perle du Brésil (1851), Lalla-Roukh (1862), Le saphir (1865), La captive (1883).

Seul grand opéra d’un David ici à mi-distance d’Halévy et Meyerbeer, Herculanum est créé avec succès le 4 mars 1859, puis joué plus de soixante fois jusqu’en 1862. Le livret de Joseph Méry – bientôt engagé pour Sémiramis (1860) et Don Carlos (1867) – et Térence Hadot transporte l’auditeur en l’an 79, dans la ville antique détruite par les laves du Vésuve le même jour que Pompéi. Pour le musicien, qui souhaite défendre un romantisme original et profond à l’instar de Beethoven et Weber, collaborer avec un poète latiniste est le gage d’embarrasser « les partisans de la prose rimée, des vers plats et des non-sens » – ainsi que l’énonce Berlioz dans un compte-rendu enthousiaste pour le Journal des débats, lequel fustige néanmoins un orchestre un peu terne, coincé dans le grave, et la simplicité de certains accompagnements inadaptée au style épique.

Éloge du christianisme en un temps où règne Napoléon III, Herculanum met en scène deux couples opposés : d’un côté les Orientaux nés sur les rives de l’Euphrate, le proconsul Nicanor et sa sœur Olympia, et de l’autre les monothéistes Lilia et Hélios. Séduite par la beauté du jeune homme, Olympia lui épargne la mort et le domine à l’aide d’un philtre magique. De son côté, Lilia doit repousser les avances de Nicanor, bientôt foudroyé par le Ciel. Satan s’empare de sa dépouille et poursuit de sa haine le genre humain. La terre tremble à chaque instant davantage…

L’enregistrement eut lieu à la salle Fiocco de La Monnaie (Bruxelles), en amont d’une présentation française [lire notre chronique du 8 mars 2014, ainsi que notre dossier Herculanum]. Les trois minutes d’Ouverture lancent un défi au chef en présence, Hervé Niquet : celui de rendre compte des différentes thématiques de l’ouvrage (amour pur, foi, luxure, etc.) à travers des climats également contrastés (tension, tendresse, langueur, etc.). Convaincu par sa lecture à la tête du Brussels Philharmonic, nous le sommes également par une distribution vocale magistrale.

Véronique Gens (Lilia) séduit par une ampleur étoilée de fulgurances. Karine Deshayes (Olympia) mêle autorité et volupté avec souplesse et aisance – son grave musclé sublime d’ultimes interventions (O terre, entrouvre-toi !... ; Acte IV, Scène 5). Edgaras Montvidas (Hélios) réjouit par un ténor clair, chaud, frôlant quand il le faut la tension sans y succomber, mais aussi la grâce (Dieu ! quel monde nouveau ! ; Acte I, Scène 5). Déjà par ses récitatifs, Nicolas Courjal (Nicanor/Satan) enchante l’oreille, associant charisme, santé et diction magnifiques. Julien Véronèse (Magnus) offre une sonorité sertie d’une certaine âpreté. Enfin, grand opéra oblige, le Vlaams Radio Koor intervient dès que possible, efficace.

LB