Chroniques

par laurent bergnach

Emmanuel Chabrier – Francis Poulenc
Une éducation manquée | La voix humaine

2 DVD Cascavelle (2003)
VELD 7001
Emmanuel Chabrier – Francis Poulenc

Filmée en mars 2000 au Théâtre Impérial de Compiègne, cette Voix humaine vaut le détour, même s'il faut se frotter au passage à quelques orties... La direction de Jean-Luc Tingaud, tout d'abord, à la tête d'OstinatO, ne nous a pas convaincu : alors que Poulenc lui-même souhaite que l'œuvre baigne dans la plus grande sensualité orchestrale, ici l'orchestre est lourd et manque de couleur. La mise en scène, ensuite, est anecdotique et le décor fait de bric et de broc – table basse de style indéterminé, une lampe en forme d'ampoule géante, un lit qu'on croirait taillé à même le marbre, une porte évoquant celle d'un mausolée.

Il reste donc l'essentiel : la soprano Anne-Sophie Schmidt, à la voix colorée et nuancée, à la diction parfaite. On pourrait la trouver un peu verte pour le rôle – surtout par rapport à la pièce originale de Cocteau –, mais c'est « une femme jeune et élégante » que Poulenc recommandait d'employer. La direction d'acteurs de Pierre Jourdan est pour beaucoup dans le déploiement de l'émotion. C'est qu'on est souvent plus proche du théâtre que du lyrisme (« je serai devenue folle »), que les cris de détresse lancés lorsque l'héroïne croit la ligne coupée sont nus, que les choses sont dites simplement (« tu es gentil... »), que le sens de certaines formules est réinventé (« vilaine p'tite gueule », « c'est pour les artistes », etc.). A-t-on jamais vu cette femme jouir autant de sa responsabilité au souvenir du dimanche de Versailles ou s'essuyer le nez du dos de la main ? Comme pour un vieux disque noir qui craque, tous ces détails valent qu'on passe sur une image qui manque de qualité et une prise de son qui sature par moments.

Deuxième œuvre courte au programme, Une éducation manquée est une opérette en un acte de Chabrier, sur un livret d'Eugène Leterrier et Albert Vanloo (d'emblée, on ricane : s'être mis à deux pour ce texte qui offre à peine trois quarts d'heure de spectacle, quand Wagner a écrit tout le Ring à lui seul !). Créée à Paris le 1er mai 1879, l'histoire nous compte l'embarras de deux jeunes mariés face à cette nuit de noces dont ils ne savent que faire... L'entourage, et en particulier le précepteur Pausaunias, ne leur sont d'aucun secours. Il faudra le concours d'un orage pour que la jeune femme terrifiée quitte sa chambre pour venir se blottir dans les bras de son mari, soudain émoustillé.

Philippe Fourcade (Pausanias) possède une belle voix de baryton. Franck Cassard (Gontran) est un ténor trompetant avec de beaux médiums mais des graves un peu écrasés qui rompent l'homogénéité du timbre. Celui de Mary Saint Palais (Hélène) est frais, mais son chant un peu maniéré et vieillot. À la tête du Sinfonietta (Orchestre Régional de Picardie), Michel Swierczewski articule et colore cette musique avec élégance, mais sans arriver à nous passionner sur la longueur. De même pour la mise en scène : après un générique sur cartons art déco, une bienheureuse entrée du couple stroboscopisé façon débuts du cinéma, on s'ennuie ferme à cette œuvre sans intérêt, à ses mines de puceaux niaiseux, à ce précepteur pas assez éthylique pour dynamiter cette pochade. Au mieux, on finit par prendre l'œuvre au sérieux, comme une critique de cette société puritaine qui imposait des unions en fabulant que l'amour finirait par venir. Dommage également que l'absence de livret ne nous renseigne pas plus sur la participation de Darius Milhaud à la finalisation de la partition.

En supplément, un deuxième disque généreux nous présente un historique du Théâtre Impérial (vingt-six minutes) et une vingtaine d'extraits des productions lyriques du lieu, de 1991 à 2003.

LB