Chroniques

par laurent bergnach

Charlotte Ginot-Slacik – Michela Niccolai
Musiques dans l’Italie fasciste (1922-1943)

Fayard (2019) 372 pages
ISBN 978-2-213-70497-5
Une mosaïque des musiques dans l'Italie fasciste (1922-1943)

Docteures en musicologies, Charlotte Ginot-Slacik et Michela Niccolai ravivent deux décennies (ventennio) de la première moitié du XXe siècle durant lesquelles furent refondées les instances politiques et culturelles de l’Italie. C’est bien sûr la vie musicale face au totalitarisme qui retient leur attention, en premier lieu.

Mais posons tout d’abord certains jalons qui structurent cette sombre période, depuis la Marche sur Rome (28 octobre 1922), par laquelle Benito Mussolini légitime la naissance du régime fasciste (3 janvier 1925), jusqu’à la signature de l’armistice avec les forces alliées (8 septembre 1943). La première décennie est synonyme d’une intense diplomatie culturelle visant à affirmer l’italianité restaurée autant qu’une ouverture à la modernité, avec la création des Instituts culturels italiens à l’étranger (1926) et de festivals internationaux de musique à Venise (1930) et Florence (1933). Dans la seconde décennie, le régime s’active à défendre une pensée autarcique, vouée au consensus populaire, via une incessante activité de propagande : désormais, il faut contrôler et briser toute résistance individuelle au régime. On voit naître un Syndicat fasciste des musiciens (1933) et de nouveaux conservatoires nationaux (1935-1942) pouvant enrayer les formations d’élèves à l’étranger. La censure met son nez dans les livrets chantés sur scène et prive les compositeurs d’Exposition universelle à Paris (1937). Bientôt, la guerre coloniale met à sang l’Éthiopie (1935-1941), prémices aux lois raciales contre les Juifs (1938) et aux déportations à venir, sous le balcon d’un Pie XII, silencieux.

Pourtant, malgré les cadres établis ici et là, il n’existe pas de fascisme musical. État encore jeune, aux identités régionales fortes, l’Italie ne parvient pas à ériger une doctrine autour de principes communs, à l’instar de l’Allemagne. C’est donc une mosaïque sans totale homogénéité que compose la dizaine de compositeurs dont les noms se croisent dans ces pages. Casella, Malipiero, Pizzetti et Respighi se distinguent parmi la generazione dell’Ottanta, traumatisée par la Première Guerre mondiale. Leurs efforts se concentrent à forger une identité nationale, en pariant sur l’avenir (réforme des conservatoires, promotion de festivals) tout en redécouvrant le passé (Monteverdi, Vivaldi). En 1932, avec huit autres personnalités du monde musical, les deux derniers signent un manifeste réactionnaire qui pulvérise l’unité voulue par les deux premiers. Leur mot d’ordre : « il faut libérer le public de l’état de sujétion intellectuelle qui paralyse ses émotions ». Sur scène, on célèbre des figures antiques grâce à Boito (Nerone, 1928), Mascagni (Nerone, 1935), Malipiero (Giulio Cesare, 1936), mais aussi les héros modernes que sont les aviateurs, avec Casella (Il deserto tentato, 1937) et Dallapiccola (Volo di notte, 1940). Beaucoup ont avoué leur admiration pour Mussolini, avec plus ou moins d’ingénuité et d’enthousiasme.

Explorateur de nombreuses pistes (jazz, cinéma, variétés, etc.), cet ouvrage bicéphale perd parfois son lecteur en route, par le manque de synthèse et une profusion de pages anecdotiques – celles sur l’opérette, par exemple, illustrant l’imaginaire de la femme exotique. Il recèle cependant de précieux documents (correspondances, etc.) et des analyses bienvenues (Il prigioniero, 1949) qui le rendent éclairant.

LB