Chroniques

par laurent bergnach

Béla Bartók – Sándor Veress
pièces avec cordes

1 CD Alpha (2019)
458
programme de pièces avec cordes signées Béla Bartók et Sándor Veress

En mars 1921, à Vienne, paraît un numéro spécial de Musikblätter des Anbruch, entièrement consacré à Béla Bartók (1881-1945), à l’occasion de son quarantième anniversaire. On y trouve une autobiographie du Hongrois, lequel évoque clairement ses attirances de jeunesse. Durant la période du lycée qui lui rend familier le répertoire de Bach à Brahms, c’est ce dernier qui l’inspire, ainsi que les œuvres de jeunesse de son compatriote Dohnányi. Élève à l’Académie de musique de Budapest, il s’intéresse à Wagner et Liszt, mais sans trouver chez eux « la voie nouvelle » espérée. Son temps d’écriture cède alors le pas à celui de l’interprétation. En 1902, la création hongroise d’Also sprach Zarathoustra l’arrache à cette stagnation et le fait dévorer les partitions de son architecte : « j’entrevoyais enfin cet horizon qui me réservait quelque chose d’inédit […] Mais Richard Strauss ne m’a pas tenu longtemps enchaîné » (in Écrits, Contrechamps, 2006) [lire notre critique de l’ouvrage].

Et puis, l’esprit d’indépendance gagne à nouveau la patrie de Lajos Kossuth, auquel cède le musicien. Il célèbre le héros national dans un poème symphonique (1904), considère la valeur du patrimoine populaire et se remet à étudier Liszt (« notamment ses créations moins appréciées du public »), dont il n’avait vu jusqu’alors que « les aspects les plus extérieurs de son art ». Pour Claire Delamarche, cette influence est plus que manifeste dans le Quintette en ut majeur avec piano (BB 33), « partition d’essence monothématique à laquelle humeurs et tempos changeants donnent une allure rhapsodique » (in Béla Bartók, Fayard, 2012) [lire notre critique de l’ouvrage]. Commencée à Berlin en octobre 1903, achevée dans le domaine de Gerlicepuszta en juillet 1904, l’œuvre est donnée au Palais Ehrbar (Vienne), le 21 novembre. De l’aveu même de Bartók, sa difficulté mit en danger cette première exécution, « mais finalement tout s’est déroulé tant bien que mal ».

Pour cette pièce qui expose ce que Brahms aurait pu écrire s’il avait vraiment fait de la musique hongroise, un quatuor à cordes de talent entoure le pianiste Alexander Lonquich : Barnabás Kelemen et Vilde Frang (violons), Katalin Kokas (alto) et Nicolas Altstaedt (violoncelle). Aux deux premiers mouvements, souvent touffus, qui font la part belle aux influences allemandes, on préfère le troisième, aux allures d’énigme, et le dernier, d’un dynamisme populaire.

Fin 1906, à la suite de problèmes de santé, le virtuose István Thomán prend une retraite anticipée de l’Académie de musique. À partir du 18 janvier 1907, son ancien élève Béla Bartók s’installe au poste vacant, pour former à son tour d’apprentis pianistes. Sándor Veress (1907-1992) serait un jour de ceux-là, qui travaillerait la composition avec Kodály. Le cadet retrouve l’aîné à l’Académie des sciences, au milieu des années trente, comme assistant dans la notation du patrimoine sonore gravé sur cire, des années plus tôt, dans les provinces hongroises. Mais en 1949, le futur maître de Ligeti et Kurtág quitte son pays natal pour la Suisse qui devient sa seconde patrie. Il y compose son Trio à cordes (1954), créé à la Biennale de Venise, que d’aucuns nomment « le chef-d’œuvre dodécaphonique de son auteur » (Claudio Veress) – d’une acception non-radicale, cela va sans dire.

Ici, l’Andante s’annonce déploratif et nu, tenté par le silence, avant l’éveil de la lumière, sinon de la joie. Pizzicati et harmoniques apparaissent alors, avec des timbres au service de la douceur. On admire le Hongrois qui célèbre un certain climat de mystère tout en préservant celui de son art d’y parvenir. Comme son titre l’indique, Allegro molto se veut tonique et galopant, plus mécanique que champêtre, servi par la précision d’Altstaedt et de Frang auxquels s’est joint l’altiste Lawrence Power. C’est depuis la locomotive que nous suivons désormais le cours du Danube…

LB