Chroniques

par laurent bergnach

Arnold Schönberg
Moses und Aron | Moïse et Aaron

1 DVD EuroArts (2010)
2058178
Dans la spacieuse Jahrhunderthalle Bochum, durant la Ruhr Triennale 2009

« L’opéra inachevé de Schönberg est entouré d’une aura d’utopie, on le prétend impossible à jouer. Depuis qu’il existe, toute tentative de transposition dans la réalité théâtrale semble vouée à l’échec. Le problème commence par la question de l’identité de l’œuvre : de quoi s’agit-il au juste ? D’un opéra, d’un oratorio, d’un concert scénique ou à demi scénique ? Schönberg lui-même a toujours voulu pousser les possibilités du théâtre réel au-delà de leurs limites. Il a donc pour ainsi dire intégré dans ses réflexions, dès la naissance de l’œuvre, la nécessité de la voir échouer et se briser contre la réalité. Sa pensée radicalement nouvelle et pure lui a toujours semblé trop grande pour pouvoir s’épanouir dans le monde d’illusion du théâtre courant, avec ses scènes trop exiguës, encadrées de portiques désespérément kitch. »

Pour Willy Decker, il semble évident que monter Moses und Aron ne peut se faire sans bousculer la tradition scénique. Dans la spacieuse Jahrhunderthalle Bochum, durant la Ruhr Triennale 2009, il a placé le public de chaque côté d’une scène modulable assez large pour permettre, à un moment crucial, la traversée du podium où se perchent les Bochumer Symphoniker. Mais, contrairement à nos habitudes de médiateur, mieux vaut dire le moins possible d’un spectacle intelligent autant qu’esthétique, afin de lui conserver son potentiel de saisissement.

Et saisis, nous le sommes d’entrée de jeu, tant le désarroi, les réticences de Moses sont palpables : se détachant du public tel un homme du commun que rien ne prédestinait à tant porter sur ses épaules, Dale Duesing touche par sa clarté de timbre et son engagement scénique. Ténor direct, très impacté, Andreas Conrad (Aron) enchante par sa ligne de chant magnifique et une voix de tête des plus souples. Le reste de la distribution ne démérite pas : Ilse Eerens (jeune fille) claire, lumineuse et juvénile ; Finnur Bjarnason (jeune homme) plein de santé ; Boris Grappe (Ephraïmite) ferme et stable ; ainsi que le sonore Renatus Mészár (prêtre). C’est peu dire que la voix sombre de Karolina Gumos (une invalide) fait pénétrer dans une autre dimension du drame.

Pas de conflit entre esprit et forme, croyance et sûreté, visible et invisible sans ce peuple si important à l’histoire : le ChorWerk Ruhr satisfait au-delà des espérances et, sans vouloir vexer personne, on ne trouvera pas chez nous d’ensembles vocaux d’un tel niveau technique. Si l’on ajoute à ceci la direction de Michael Boder – vive, claire et d’une évidence étouffant toute sensation de bizarrerie –, la captation rythmée de Johannes Grebert qui multiplie les points de vue sans perturber la compréhension du spectacle, on aura cité tous les atouts de cet enregistrement fortement recommandable.

LB