Chroniques

par samuel moreau

Archives « Grands chanteurs d'opéra »
Boris Christoff – Tito Gobbi – Gundula Janowitz – Rita Streich

1 DVD EMI Classics (2004)
DVB 5996879
Archives Christoff – Gobbi – Janowitz – Streich

Si, comme le soulignait récemment Pierre Boulez à notre consœur du Monde, la notion d'âge d'or est une approche réactionnaire du passé, on chipotera moins sur le terme d'artistes de légende qui sert d'argument publicitaire à EMI Classics pour sa collection classic archive. Quatre monuments du chant des années cinquante et soixante sont réunis ici, saisis – pour les chanteurs – en studio par la BBC en 1958, et – pour les soprani – dans des extraits de concert ayant eu lieu à la Salle Pleyel, entre 1963 et 1966. Que le mélomane, qui trouve palpitant de regarder en DVD une production lyrique vue à l'opéra quelques mois plus tôt, imagine un instant l'émoi de ceux qui vont retrouver, trente-cinq ans après, les images d'une soirée unique qu'ils croyaient perdue…

Née à Berlin en 1937, Gundula Janowitz est un soprano jungendlish-dramatisch, idéal pour chanter Mozart, Beethoven, mais aussi Weber et Wagner défendus ici. Sa carrière internationale commence après ses débuts à l'Opéra d'État de Vienne, en 1960. On sent la jeune femme tendue sur la grande scène d'Agathe dans Der Freischütz, mais le travail est magnifique : belle ligne de chant, voix claire. Trois ans plus tard, elle est Elisabeth, au début de l'Acte II de Tannhäuser. On découvre toute la puissance qu'on sentait en réserve auparavant. Alain Lombard, chef tonique au jeu très nuancé, est un allié précieux.

Soprano viennois qui fit les beaux jours de Deutsche Grammophon, Rita Streich (1920-1987) débuta dans les rôles de soubrette et de colorature à l'Opéra d'État de Berlin. Ses débuts à Vienne, où son aisance dans Mozart fut particulièrement remarquée, datent de 1953. Plus expressive, plus démonstrative que sa cadette, elle enchante par son art de colorature (Le Nozze di Figaro, Linda di Chamounix), mais aussi par un choix plus inhabituel, comme ce Chant à la Lune extrait de Rusalka, qui prouve qu'elle sait favoriser un répertoire plus intime.

Quittons la scène pour la reconstitution en studio : Tito Gobbi aborde quatre univers assez différents, même si – hommage à ses hôtes britanniques oblige – la moitié doit son existence à Shakespeare. Le baryton dramatique (1913-1984) prouve son aisance dans ce qui fut son répertoire de prédilection : Verdi et Puccini. Clownesque en Falstaff, terrible en Iago et bouffon en Schicchi, on sera moins convaincu par son Scarpia. Trop de grimaces, de roulements d'yeux, ne passent pas à l'écran, mais les qualités d'une voix expressive et puissante demeurent : c'est là l'essentiel.

C'est plus de six cent fois, en quarante ans de carrière, que Boris Christoff (1913-1994) chanta son rôle de prédilection : le tsar Boris Godounov. Sa belle voix de basse est servie par un jeu convaincant, qui fait de ces douze minutes un sommet d'intensité. Au terme de ce dernier, on pourra retourner Salle Pleyel avec un bonus consacré à des fidèles de Bayreuth : Elisabeth Grümmer (1911-1986), Wolfgang Windgassen (1914-1974) et Gottlob Frick (1906-1994).

SM