Chroniques

par laurent bergnach

Antonín Dvořák
Rusalka

1 DVD EuroArts (2014)
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Ádám Fischer joue Rusalka (1901), opéra de Dvořák, à Bruxelles (2012)

Tout commence avec un livret du dramaturge Jaroslav Kvapil (1868-1950), fondé sur différents contes et légendes signés Andersen, Erben, La Motte-Fouqué et Němcová, avant même qu’un compositeur soit associé au projet. Plusieurs musiciens sont abordés, mais c’est Antonín Dvořák (1841-1904), déjà connu pour son goût du fantastique – les poèmes symphoniques L’Ondin Op.107 et La sorcière de midi Op.108, etc. – qui va mettre en musique Rusalka. Sans modifier le texte reçu, il compose son opus 114 d’avril à novembre 1900, dans la petite ville de Vysoká. Ses trois actes sont ensuite créés au Théâtre national de Prague, le 31 mars 1901, sous la direction de Karel Kovařovic. Déjà présente dans l’opéra Le Diable et Catherine (1899), la dvořákienne Růžena Maturová y incarne le rôle-titre, avant celui d’Armida (1904).

Rusalka a la simplicité et la profondeur d’un conte de fée. On y découvre une ondine et son amour pour un prince désorienté et infidèle, flanquée de deux figures parentales : Ježibaba (littéralement, la sorcière), qui va transformer l'héroïne en une femme de chair et d’os mais dépourvue de parole, et Vodník, le maître des eaux compatissant, qui intervient sur le monde humain dans la mesure de ses capacités mais sans réel pouvoir de protection.

Trésor national tchèque, l’ouvrage de Dvořák s’impose non sans peine à l’étranger, soit d’abord traduit en allemand (1935) ou en anglais (1950), soit très tardivement (1982 pour la création française, à Marseille). Il est aujourd’hui devenu incontournable, comme le prouve cette production filmée à La Monnaie de Bruxelles en mars 2012, en amont de sa reprise lyonnaise à la fin décembre 2014. La maison française attirait alors l’attention sur « quelques scènes à caractère érotico-burlesque qui, si elles restent allusives, pourraient heurter la sensibilité des plus jeunes ».

Nous aussi mettons en garde : la proposition de Stefan Herheim est une abomination. Que Rusalka arpente le trottoir d’une rue hyperréaliste mais bouffonne (bar, église, sex-shop), giflée par un Vodník en plein désarroi, lui-même malmené par sa bourgeoise d’épouse, on a connu plus ridicule ; mais en refusant le merveilleux pour promouvoir la dérision, Herheim détourne le mythe vers autre chose qui échappe sans cesse, à base de gore et de guignol, pantins et pacotille. Cette « dramaturgie clip clap » – « où tu fais l’expérience d’être ici et tout à coup d’être ailleurs » s’émerveille Peter de Caluwe, patron de l’institution belge (voir bonus) – nous paraît simplement kitchissime et indigne d’être présentée comme un travail digne de ce nom.

Seules la direction convaincante d’Ádám Fischer à la tête de l’Orchestre Symphonique de La Monnaie et la distribution vocale aident à tenir jusqu’au bout. Myrtò Papatanasiu incarne le rôle-titre avec clarté et nuance, amoureuse de Pavel Černoch, Prince au chant très rond, dont l’aigu séduit par une assise grave. Ekaterina Isachenko, Younghee Kim et Nona Javakhidze forment un trio de nymphes équilibré. En Ježibaba, Renée Morloc manque un peu de punch, à l’inverse d’Annalena Persson, Princesse étrangère expressive. Julian Hubbard (Chasseur) est efficace. Enfin, si l’on est ravi de retrouver Willard White (Vodník) au mieux de sa forme, on est gêné par l’omniprésence où le place le metteur en scène, qui induit toutes sortes de pitreries désolantes.

LB