Chroniques

par hervé kœnig

André Boucourechliev
Orion II et III – Trois fragments de Michel-Ange – Grodek

1 SACD Lyrinx (2003)
LYR 2209
André Boucourechliev | Pièces pour ensemble

Né à Sofia en 1925, André Boucourechliev mène en Bulgarie une brillante carrière de pianiste avant de s'installer à Paris. Sa vocation de compositeur se confirme alors, d'abord à travers des pièces de musique électronique, puis des œuvres vocales ou chambristes dont la célèbre série des Archipels – de 1966 à 1972 –, présentés sous forme de carte de navigation laissant aux interprètes une certaine ouverture dans le trajet de leur lecture. Dans cette période également, il écrira Miroir pour quatuor à cordes, Ombres pour onze cordes, un Concerto pour piano et orchestre et Amers pour orchestre. Il fut par ailleurs un critique éclairé, et écrivit quelques ouvrages qui font autorité, comme son Beethoven, le plus fameux de ses essais. Il nous a quittés en 1997. L'ensemble Télémaque et son chef fondateur Raoul Lay nous proposent ici un parcours à travers des œuvres plus récentes de Boucourechliev, avec cependant une exception, Grodek, écrite en 1963 et révisée six ans plus tard, sa plus ancienne partition éditée.

Cette pièce pour soprano, flûte et trois percussions évoque les derniers vers du poète viennois Georg Trakl, contemporain d'Adolf Loos et Oscar Kokoschka. La Première Guerre mondiale devait sonner le glas pour lui, puisqu'il part au front comme « assistant aux médicaments ». Dans ce contexte déstructurant, sa longue lutte contre la dépression et le désespoir cherche une issue vers le suicide. Une tentative, en septembre 1914, l'amène à l'hôpital de Cracovie, en observation dans le service psychiatrique. De là, il envoie à l'éditeur Ludwig von Ficker ce qui deviendrait ses deux derniers poèmes : Plainte et Grodek. Une overdose de cocaïne mettra fin à ses jours le 3 novembre suivant. Une voix expressive (La nuit accueille les guerriers mourants / la sauvage plainte de leurs bouches cassées), accompagnée d'une flûte stridente et de sonorités métalliques rendent compte de la souffrance et de la douleur des victimes de cette boucherie, « ces fils qui ne sont pas nés ». Le soprano Brigitte Peyré en donne une lecture saisissante, avec un je-ne-sais-quoi d’hiératique qui souligne la force expressive de cette page.

Le reste du programme enregistré se concentre sur les années quatre-vingt et suivantes. Orion II et Orion III datent de 1982. La première fut créée à l'occasion du centième anniversaire du peintre Fernand Léger. L'Ensemble Télémaque (fondé en 1994) s’investit dans cette pièce en sept séquences pour cinq cuivres, piano et deux percussions qui alterne bruissements, discrétion, sourdine et heurts, tension, éclats. Très virtuose et destinée au Concours International de Piano de Saint-Germain-en-Laye, créée le 25 avril 1983, la seconde est donnée ici par Nathalie Négro, familière de la musique d'aujourd'hui – collaborant notamment avec György Kurtág, Yvonne Loriod, Pierre-Laurent Aimard, Claude Helffer, etc. Elle offre une version fiable, très articulée et puissante de cette partition.

Écrits le 11 avril 1995, créés l'année suivante au festival Présences à la Maison de Radio France, les Trois fragments de Michel-Ange s'inspirent des textes pleins d'amour et de lassitude de Michelangelo Buonarroti. Conçus à l'image du haïku, Boucourechliev favorise leur dépouillement par un ensemble très restreint : soprano et flûte (La nuit parle), soprano seule (Amor), soprano, flûte et piano (A l'alma stanca...). L'œuvre s'éloigne exceptionnellement du monde postwebernien habituel au compositeur. On y retrouve ici Brigitte Peyré qui, elle aussi, connaît bien la musique de son siècle, se produisant régulièrement avec Court-Circuit, Les Jeunes Solistes ou Musicatreize. Ce disque est un bel hommage au compositeur et permettra sans doute une écoute plus approfondie d'une œuvre encore rare.

HK