Chroniques

par isabelle stibbe

Zanetto, opéra de Pietro Mascagni
I pagliacci | Paillasse, opéra de Ruggero Leoncavallo

Opéra national de Lorraine, Nancy
- 30 juin 2007
© ville de nancy

Qui aime le théâtre peut difficilement être insensible à Paillasse. Même si la réputation de l’œuvre a beaucoup souffert du déclin du vérisme, comment ne pas succomber au charme de cette Calabre traversée par le drame personnel de comédiens mêlant leurs passions véritables aux passions de la scène ? Comme dans le célèbre film de cape et d’épée Scaramouche, la commedia dell’arte et le théâtre dans le théâtre sont omniprésents et plongent le spectateur dans une catharsis doublement inéluctable. Peut-être cette proximité avec les sources du théâtre (les tréteaux, les masques, la farce) explique-t-elle la réussite de la mise en scène de Jean-Louis Martinelli à Nancy.

Ce succès tient d’abord à l’exploitation de tout le potentiel scénique du drame de Leoncavallo. Sans même parler des moments intenses en soi, comme le meurtre de Nedda puis de son amant Silvio par Canio, le directeur du Théâtre des Amandiers a pris un soin tout particulier à insuffler de la densité dans les passages où l’action se repose. Témoin la scène qui précède la représentation par la troupe de Paillasse. Musicalement, il s’agit d’un intermède après le poignant Ridi Pagliaccio. Scéniquement, cette pause devient le moment le plus intéressant de l’opéra : côté jardin, Nedda se transforme lentement en Colombine tandis que, côté cour, Canio revêt douloureusement les habits de Paillasse. Martinelli a eu la belle idée de faire maquiller les chanteurs à vue devant les glaces de leurs loges ; on touche ainsi au plus près la symbolique de ce chef-d’œuvre de l’opéra vériste : la scène et le monde, le dédoublement de l’acteur, le jeu.

Parvenir à un tel résultat n’aurait pas été possible sans des chanteurs excellents comédiens. C’est le cas, grâce à une direction d’acteurs accomplie. Les chanteurs font tous preuve d’une aisance et d’une liberté de jeu rares. Il faut saluer particulièrement la prestation de Sébastien Guèze qui, en Arlequin à perruque et costume verts de rocker psychédélique, se fait remarquer par sa ligne de chant impeccable. Les costumes très colorés et ludiques de Patrick Dutertre ajoutent encore au plaisir tandis que vocalement, le plateau est de très bonne tenue.

La voix de Lisa Daltirus (Nedda) est un peu lourde pour les vocalises du Stridono lassù, mais elle est compensée par de belles inflexions sombres et un style irréprochable. La voix de Hugh Smith (Canio/Paillasse) n’est pas toujours homogène, mais son engagement vocal et scénique remporte l’adhésion et suscite l’émotion. Nigel Smith (Silvio) est un baryton distingué et Adrian Gans (Tonio), très à l’aise dans les graves, impressionne par sa décontraction. Le Chœur de l’Opéra National de Lorraine ne se ménage pas non plus, apparemment ravi de jouer les acteurs qui jouent aux spectateurs.

Dernière raison de se réjouir : Paillasse était précédé, au lieu du traditionnel Cavalleria rusticana, de Zanetto du même Mascagni. Composé d’après la pièce Le Passant de François Coppée (écrite pour Sarah Bernhardt), en 1896, pour les étudiants du Liceo musicale de Pesaro, ce court opéra narre la rencontre d’une courtisane et d’un jeune troubadour, leur amour avorté. Lyrique à souhait, la musique nimbe l’atmosphère de nostalgie et de poésie – très bien rendue, là aussi, par la mise en scène de Martinelli. Devant un fond noir parsemé d’étoiles scintillantes, Hiromi Omura (Silvia) fait retentir sa belle voix charnue et puissante, tandis que Zanetto, interprété par le mezzo Karine Deshayes, dialogue de façon inspirée avec les instruments. Malgré son infériorité dramaturgique et musicale au regard de Paillasse, cette brève pièce gagnait à être connue, ne serait-ce que pour entendre le chef Giuliano Carella conduire l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy avec énergie et vitalité, sans jamais sacrifier la ligne mélodique.

IS