Chroniques

par bertrand bolognesi

week-end Xenakis – épisode 2
Orchestre du Conservatoire, Ensemble Intercontemporain

Vincent Gailly, Alain Billard, Li-Ling Lee, Matthias Pintscher
Cité de la musique, Paris
- 18 mars 2022
À la Cité de la musique (Paris), Matthias Pintscher joue Iannis Xenakis...
© quentin chevrier

À la Cité de la musique, le Week-end Xenakis, par lequel est célébré le centenaire de la naissance du compositeur grec, se poursuit avec deux opus de la fin des années soixante, tous deux conçus pour un orchestre dont le grand effectif doit être éparpillé dans le public. Dans le sillage des projets pédagogiques menés au CNSMD de Paris par l’Ensemble Intercontemporain – on se souvient du récent et déjà légendaire Tutuguri de Rihm [lire notre chronique du 17 janvier 2022] ! –, ses solistes et les jeunes musiciens de l’Orchestre du Conservatoire envahissent parterre et balcons, dans une configuration de salle peu ordinaire. Ainsi la proximité avec les sources sonores diverses engendrera-t-elle une préhension très particulière du concert. Au centre, Matthias Pintscher, dont la battue se trouve relayée sur grand écran afin d’assurer à chaque officiant, où qu’il soit placé, une lisibilité optimale.

Le 3 avril 1966, l’orchestre Philharmonique de l’ORTF placé sous la direction d’Hermann Scherchen crée mondialement Terretektorh (1965) au Festival international d'art contemporain de Royan. Après le fort beau récital donné hier soir par l’excellent Stephanos Thomopoulos [lire notre chronique de la veille], l’invasion de l’espace acoustique par bourrasques, tempêtes et autres orages, quand ce ne sont quelques spectaculaires éruptions volcaniques, plonge l’auditeur dans une autre dimension. « L’orchestre est dans le public et le public est dans l’orchestre », explique Iannis Xenakis dans la notice de l’œuvre, citée par Cécile Gilly dans un programme rédigée en 2012 et repris aujourd’hui dans la brochure de salle. « Le public doit être libre de bouger ou de s’asseoir sur des pliants distribués à l’entrée de la salle […] Une salle de bal, de quarante-cinq mètres de diamètre au minimum, ferait l’affaire à défaut d’un nouveau type d’architecture qu’il faudrait mettre au point pour tous les genres de musique actuelle », ajoute-t-il. Gageons que l’édifice de Christian de Portzamparc répond à ce désir, bien que chacun s’y trouve accueilli ce soir dans un confort moins radical. La circulation décrite n’est cependant pas rendue possible par le dispositif, de sorte qu’on ne pourra se prononcer quant à la différence entre une spatialisation naturelle fixée et une spatialisation naturelle mobile. Qu’à cela ne tienne, l’enveloppement sonore est surprenant, et, plus encore, le voyage percussif.

Même festival, même orchestre, dirigé par Charles Bruck, cette fois, pour la première mondiale de Nomos Gamma (1967-68), le 4 avril 1969. Dans la suite de Nomos Alpha pour violoncelle (1965) que Siegfried Palm avait créé à Brême au printemps 1966, pour ce qui de l’expérimentation, dans le principe compositionnel, de plusieurs déductions mathématiques, la nouvelle pièce poursuit ce que Terretektorh explorait, en prenant un certain recul que les commentateurs ont vu dans le soin avec lequel elle est construite. L’extrême énergie qu’elle déploie ravit l’écoute, loin de l’auditorium, tour à tour dans les couleurs des bois et l’impact musclé des cuivres, les cordes cédant place à une redoutable section de percussion, pour finir.

Après une locution de Matthias Pintscher quant à la nécessité de la culture en général et de la musique en particulier dans ce temps de conflit, avec la violation du territoire ukrainien par les troupes russes depuis deux semaines, c’est avec le Vorspiel du troisième acte de Parsifal que le chef ouvrait la cérémonie. Parce que l’orchestre est égaillé, la perception de cette page ne se peut comparer à celle qu’on en peut avoir par ailleurs. La sensation que le son descend des cieux sur l’oreille étonne positivement sur la tendre partie de cordes, rien de va plus dès que les cuivres font leur entrée, l’écoute se fracassant dès lors dans les pavillons, quand elle ne se noie pas dans le tuba, par exemple. À l’enchaînement direct des cordes de Terretektorh, réussi en souplesse,répond celui du Vorspiel du premier acte wagnérien, en fin de soirée, aux dernières mesures de Nomos Gamma qui, celui-ci, ne fonctionne guère.

Deux pages récentes ont été glissées dans la chronologie du concert, de part et d’autre de l’entracte. D’abord le passionnant Ondate II (1998) d’Olga Neuwirth, prolongation pour deux clarinette basses d’Ondate pour quatuor de saxophones (même année de composition), magnifiquement défendu par Alain Billard et Li-Ling Lee ; puis De profundis (1998) de Sofia Goubaïdoulina, conçu pour bayan, autrement dit un accordéon, dont la compositrice exploite la capacité respiratoire. Entre battements d’ailes chamaniques, visite de Messiaen en l’Église orthodoxe, grandiloquente toccata et déclamation hésitante, développée dans une oscillation de plus en plus emphatique, plusieurs moments en dévoilent le poumon, pour ainsi dire, jusqu’à la coda, péroraison animée de saupoudrages ornithologiques, magistralement livrée par Vincent Gailly [lire notre chronique du 25 septembre 2019].

Outre l’exposition Révolutions Xenakis présentée par la Philharmonie (Musée de la musique) jusqu’au 26 juin, plusieurs rendez-vous jalonnent un samedi et un dimanche bien remplis – à suivre…

BB