Chroniques

par bertrand bolognesi

Výleti pánĕ Broučkovy | Les voyages de Monsieur Brouček
opéra de Leoš Janáček

Oper, Francfort
- 5 juillet 2014
Les voyages de Monsieur Brouček (Janáček) à l'Opéra de Francfort
© wolfgang runkel

Pour quelques représentations d’été, l’Opéra de Francfort reprend la production des Voyages de Monsieur Brouček qu’Axel Weidauer y signait en 2008. En plaçant les deux ouvrages de Janáček – puisqu’il s’agit du Voyage de Monsieur Brouček sur la lune et du Voyage de Monsieur Brouček au XVe siècle, écrits distinctement l’un de l’autre et à plusieurs années d’intervalle – sur un plateau nu, noir, bordé par un court gradin de fête villageoise en jardin et d’un vélo en cour, avec un petit Pégase de bois en perspective, le metteur en scène en appelle exclusivement à l’imaginaire du public, sans autre stimuli. Avouons-le d’emblée : c’est assez sec ! À l’aridité de l’espace réalisé par Moritz Nitsche répondent les costumes de Berit Mohr, Etherea à cheveux orangés parmi les Lunaires à cheveux bleus. Les rares éléments qui s’ajoutent à ce désert ne font guère sens, ou de façon relativement mièvre (le temple qui se casse peu à peu la figure sur le côté, le mirliton qui hante la deuxième partie, etc.).

Il n’est certes guère facile de respecter au pied de la lettre les didascalies du livret ; loin de nous l’envie de voir apparaître des poncifs en évocations touristiques, tels les clochers de Notre-Dame de Týn, la silhouette du Hradčany ou l’ombre embrumée des statues du Karlův most. Mais imposer un no man’s land parfaitement vide ressort d’une radicalité parfaitement stérile. Encore eut-on pu s’en sortir par une direction d’acteurs aiguisée… ce n’est franchement pas le cas. Considérer les personnages des deux intrigues comme les fruits du rêve de Brouček aurait pu ne pas se limiter à n’en faire que des pantins sans consistance ; bien au contraire, leur donner une âme – celle du rêve, aussi peu qu’il dure – aurait propulsé la représentation vers un écho plus ambigu, d’une tout autre richesse, assurément.

Remarqué dans le répertoire contemporain [lire notre chronique du 14 juin 2005], Johannes Debus semble n’entretenir guère d’affinités avec la musique ô combien complexe de Leoš Janáček. À la tête du Frankfurter Opern und Museumorchester, il laisse cependant profiter de la magnifique écriture des vents – saluons l’opulent lyrisme des cuivres « maison » ! –, réservant à la deuxième partie une lecture plus prégnante.

C’est donc du côté des voix qu’on trouvera satisfaction.
On en retrouve quelques-unes avec bonheur, comme la jeune Katharina Magiera [lire notre chronique du 3 février 2013], Kedruta efficace, le souple et puissant phrasé d’Andreas Bauer, parfait Würfl [lire nos chroniques du 17 juin 2012 et du 10 octobre 2009], et enfin l’excellent Aleš Briscein, Mazal avantageusement impacté, à l’aigu incroyablement facile [lire notre chronique du 8 mars 2011]. On applaudit la saine autorité de la basse Simon Bailey en Sacristain, l’élégante couleur du jeune baryton Björn Bürger en Poète et l’onctuosité de timbre du soprano colombien Juanita Lascarro, Málinka bien chantante autant qu’attachante. Dans le rôle-titre, l’Heldentenor Arnold Bezuyen livre une incarnation idéalement vaillante. Préparés par Tilman Michael, les artistes du Chor der Oper Frankfurt font honneur à la partition.

BB