Chroniques

par bertrand bolognesi

un après-midi hongrois
Quatuor Des Équilibres

Salle Cortot, Paris
- 23 janvier 2011
Un coin de rue à Budapest photographié par Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi

C’est un concert hongrois que le quatuor à cordes Des Équilibres présente cet après-midi. Agnès Pyka, fondatrice de cette formation aujourd’hui domicilié à Toulon, fit en grande partie ses études de violon à l’Académie Liszt de Budapest. Il semble bien que ces années-là aient positivement marqué la musicienne qui en sert volontiers le répertoire encore rare dans nos salles. Ainsi du Quintette en ut mineur pour piano et cordes Op.1 écrit en 1892 par un Ernő Dohnányi de quinze ans, œuvre qui conclura ce rendez-vous. La pianiste Isabelle Oehmichen est associée à ce moment. Elle ouvre l’Allegro de l’Opus 1 dans un passionnant frémissement bientôt rejoint par les pizz’ musclés des cordes. La verve est encore brahmsienne, mâtinée de quelques chatoiements straussiens, dans une lumière parfois proche de Mendelssohn. Après un Allegro vivace généreusement nuancé dont le grand romantisme adipeux sait ne point trop bavarder, une lente mélodie d’alto, recueillie, proche des Ernste Gesänge de Brahms, introduit l’Adagio quasi andante. Après une tendre reprise en trio avec piano, le violoncelle développe le thème languide. Le tutti prend ici des allures excessives de concerto qu’il conviendrait de juguler un peu. Assez évidemment, une fugue de grand caractère vient couronner cette pièce, dans une jubilation ronflonflon comme aucune, presque drôle dans sa joie gamine.

C’est donc dans le parfum particulier qu’évoquent les romans de Bánffy et Zilahy que s’achève et s’initie ce programme, l’Adagio pour violon et piano composé par Zoltán Kodály en 1905 nous en ouvrant la porte. Agnès Pyka en dessine délicatement la mélopée, dans une interprétation sainement musclée.

Comme en avant-première à l’enregistrement que Les Équilibres effectueront dans quelques semaines à Budapest, dans les studios du label Hungaroton, la pièce maîtresse du menu est le Quatuor à cordes n°2 de Sándor Veress, donnée ici en création française. Ainsi quittons-nous la prose Mitteleuropa copieuse pour la plume aiguisée d’un Krúdy ou l’acidité d’un Kosztolányi, avec cette pièce atonale où l’auteur ménage certains pôles récurrents qui enserrent l’écoute dans une illusion tonale. Relativement négligée encore, la musique de Veress fait cependant le lien entre Bartók et Kodály, ses maîtres, et Kurtág et Ligeti auxquels il enseigna avant de s’exiler en Suisse, dès 1948. Le Quatuor n°2 date de la période hongroise (1937) et, pour lorgner vers un néo-classicisme progressiste, n’en fait pas sa recette.

Le premier mouvement, Allegro, affiche une tonicité caractéristique dont Les Équilibres soulignent à juste titre le lyrisme échevelé. On y goûte le chant tournoyant de l’alto et ses relais moins touffus dans le corps de la séquence, comme un appréciable travail de la couleur dans les traits plus calmes. Indéniablement, l’inflexion mélodique reste proche des grands Hongrois de son temps, mais son traitement s’en éloigne – plus tard, après les rassurements d’un néo-classicisme plus systématique (Sonatine pour piano, par exemple), Veress sérialisera sa facture, comme dans l’ouverture du tardif Tromboniade qui mariera tous ses savoir-faire. L’Andante central est une plainte accompagnée, presque un lamento baroque, à sa manière, faisant entrer dans une clarté particulière le second thème (deuxième violon), sans se départir d’une troublante gravité qui domine tout l’épisode, saisissant. Le bondissement du Presto fait mouche, bien que ses recours rythmiques mériteraient un peu plus de hargne, semble-t-il. Le verdict en fausse gavotte s’avère brillamment servi.

BB