Chroniques

par laurent bergnach

un après-midi avec Pascal Dusapin
et les musiques d'Ashley, Feldman et Glass

Classique en images / Auditorium du Louvre, Paris
- 25 février 2012
un après-midi avec Pascal Dusapin et les musiques d'Ashley, Feldman et Glass
© dr

Depuis le 2 février dernier, un nouveau cycle Classique en images intitulé L’opéra et la modernité propose d’interroger la renaissance d’un genre que l’on disait moribond et qui connut au XXe siècle, comme l’écrit Christian Labrande, « un regain de vitalité, donnant lieu à une pluralité de formes musicales ». Carte blanche est donnée à plusieurs compositeurs – Boesmans, Saariaho, et bientôt Aperghis, Manoury, Eötvös et Adès – pour présenter en personne des œuvres phares des dix dernières décennies, choisies dans un large catalogue d’opéras filmées et qui les ont marqués, voire influencés. Ainsi, Philippe Boesmans s’enthousiasme de partager Pelléas et Mélisande, pour lui « peut-être le plus bel opéra qui existe », et Kaija Saariaho un extrait de Saint François d’Assise dont on sait qu’elle l’a amené au genre lyrique. Attention cependant, car certains programmes sont annulés, comme ce Satyricon de Maderna tant attendu, filmé lors de sa création au Holland Festival en 1976 !

Passionné par les avant-gardes américaines et allemandes, Pascal Dusapin rencontre à son tour le public. Ce dernier, avant de (re)découvrir dimanche Moses und Aaron (filmé par Staub et Huillet en 1974) et Faustus, the last night [lire notre chronique du 16 novembre 2006], se confronte à trois œuvres crées entre 1976 et 1984. En compagnie du soporifique Antoine Gindt, le compositeur explique que c’est durant cette période de transversalité artistique, face à des propositions parfois radicales, que s’est développé son intérêt pour le genre, alors qu’il n’avait pas, jusque alors, de goût particulier pour « cette chose-là, bourgeoise et élitaire » – et aussi coûteuse, pour un tout jeune homme. Une conclusion s’impose à nous : en tant qu’élève de Xenakis qui disait l’opéra mort, Dusapin semble trouver un compromis en révolutionnant le genre comme il le fait depuis Roméo et Juliette (1988).

Cinq trop courtes minutes de Neither, l’opéra de Morton Feldman commandé en 1977 par Rome, permet d’entendre le chant de Sarah Leonard, sur une note unique, puis Dusapin préciser l’admiration pour son confrère américain. Au risque de surprendre, Feldman est le compositeur d’après-guerre qu’il a le plus écouté, même en écrivant sa propre musique, tant ses œuvres pour piano, en particulier, « incitent à une très grande concentration ». Cette découverte l’a amené à ses poser des questions – comment créer une « machine à ouvrir » ? « Comment enlever tous les paramètres ? » de l’opéra traditionnel - auxquelles To be sung (1993) tente de répondre [lire notre chronique du 7 avril 2009]. Avec humour, il signale les rires déclenchés par ces quarante-trois numéros inspirés par Gertrude Stein chez les Anglo-Saxons, sensibles aux sous-entendus sexuels qui lui avaient échappés, et égratigne les critiques qui, sempiternellement, évoquent ses « tentatives lyriques ».

Non sous-titré, un documentaire d’une heure revient ensuite sur la genèse d’Einstein on the Beach, jalon de la modernité signé Philip Glass, Robert Wilson et Lucinda Childs, filmé en partie lors d’une reprise par la Brooklyn Academy of Music, en 1984. C’est « un monde […], un creuset » à elle seule que cette œuvre qui fut créée le 25 juillet 1976 dans un festival de théâtre (Avignon) et dont la partition n’a jamais été réinterprétée depuis. Aujourd’hui « perplexe » quant à la musique de Glass qui attire en priorité le public de la pop music, Dusapin fut « impressionné » par ce travail à une époque où l’Europe avait de vieux débats (Boulez ou Stockhausen ? Sérialisme ou non ?). Au risque de passer pour « un vieux machin », le Français regrette la liberté de ces années-là, le retour à un opéra plus convenu (Glass lui-même, depuis l’éloignement de Wilson) et déplore qu’Einstein, qui sera donné prochainement à Montpellier (du 16 au 18 mars), ne puisse passer par la capitale – « ça n’aurait pas coûté plus cher que tous les nanars à l’Opéra de Paris, en ce moment ».

Orienté dès ses débuts vers le multimédia, Robert Ashley (né en 1930) répond avec Private lifes à une commande pour la télévision. Plongée minimaliste dans le quotidien d’un couple, le cycle de sept opéras, d’une durée de vingt-cinq minutes chacun, est diffusé par Channel Four en avril 1984. The Backyard, l’ultime épisode visionné aujourd’hui, ramène à notre mémoire une esthétique vidéo-clip typique de l’époque (ionisation, couleurs fluo, texte superposé, figurants-mannequins, etc.). Tandis que les doigts de « Blue » Gene Tyranny jouent un piano sur fond de boîte à rythme, la voix chantante et monotone d’Ashley dévie de l’emplacement du personnage Isolde dans le paysage sur des considérations mathématiques, géométriques et astronomiques, avec la figure de l’hérétique Giordano Bruno comme ancrage historique.

Au terme de la projection, une spectatrice ne peut retenir un « n’importe quoi ! » lorsqu’on associe à nouveau l’œuvre au genre lyrique. Dusapin, qui avait souhaité Ashley comme narrateur pour To be sung, rappelle qu’on se réunit aujourd’hui pour « se laver la tête » de quelques certitudes (applaudissements), et conclut, en s’inspirant d’un homme de cinéma : « l’opéra, c’est ce qu’on fait ». Un extrait de Medeamaterial (1991) clôt ce rendez-vous intéressant – mais boudé par plus d’un critique qui se damnerait pour les « nanars » évoqués plus haut…

LB