Chroniques

par hervé könig

Troisième Concerto de Saint-Saëns par Daniel Lozakovich
Cristian Măcelaru dirige l’Orchestre national de France

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 10 septembre 2021
Cristian Măcelaru ouvre la sain 21/22 de son Orchestre national de France
© sorin popa

Le concert d’ouverture de la saison 2021/2022 de l’Orchestre national de France, placé sous la direction de son nouveau chef titulaire, le Roumain Cristian Măcelaru (né à Timișoara en 1980), propose un programme entièrement consacré à la musique française. Pour commencer, Les offrandes oubliées qu’Olivier Messiaen composait en 1930. Il s’agit de son tout premier opus symphonique, créé à Paris en février 1931. Il l’a voulu contemplatif, l’articulant en trois parties enchaînées qu’il intitula La Croix, Le péché et L’Eucharistie, selon la conviction chrétienne qui l’habiterait toute sa vie et imprégnerait profondément son œuvre. Ce soir, le soyeux des violons de La Croix lui confèrent un curieux chatoiement, contredit par la sévérité générale de la ligne, plus simple dans sa lamentation. Sous la battue de Măcelaru, les affres du Péché cabriolent comme au cinéma, n’évitant pas un surlignage un peu grossier de ses bondissements, encore sous l’influence de la musique de Dukas qui s’éteindrait cinq ans plus tard. La douceur de L’Eucharistie tombe des cieux, lente déploration liturgique que les forces en présences réussissent particulièrement bien.

Né à Paris le 9 octobre 1803, Camille Saint-Saëns mourut le 16 décembre 1921 en Alger où il avait pris ses quartiers depuis plusieurs décennies. Aussi la nouvelle saison de Radio France rendra-t-elle un hommage assidu au compositeur afin de célébrer le centenaire de son décès. Il revient au jeune violoniste Daniel Lozakovich, récemment applaudi au Festival d’Aix-en-Provence [lire notre chronique du 13 juillet 2021], de commencer cette fête en jouant le Concerto en si mineur Op.61 n°3 de 1880, le plus célèbre des concerti du maître, dédié au virtuose Pablo de Sarasate pour lequel il nourrissait une admiration sans bornes. Le jeune soliste suédois d’origine russe gagne le plateau où sonne somptueusement l’âpre mélodie de l’Allegro non troppo, bien connue. La fréquentation régulière de cette page par l’ONF autorise une facilité d’approche où le dialogue entre tutti et soliste peut se faire avec l’évidence la plus grande. Le raffinement de sonorité que Lozakovich tire de son Stradivarius de 1727 charme forcément un auditoire immédiatement conquis. Sicilienne ou barcarolle – on ne sait pas –, l’Andantino quasi allegretto est le moment où plusieurs pupitres échangent à la manière chambriste avec le violon, dans le climat serein du triomphe mélodique de Saint-Saëns. Un trait altier, passionné débute le dernier mouvement, Molto moderato e maestoso rhapsodique pris ce soir avec une légèreté appréciable, conclu par un Allegro brillant. En écho aux applaudissements enthousiastes, Daniel Lozakovich donne le Scherzo-Capriccio (1911) de Kreisler en bis, acclamé !

Bond dans le temps, après l’entracte, avec Mystère de l’instant d’Henri Dutilleux, écrit en 1986 et dédié au chef d’orchestre et mécène suisse Paul Sacher qui le créera à Zurich à l’automne 1989. D’ailleurs, le nom du commanditaire traverse la fin de l’œuvre à travers les notes traduites en lettres dans la notation anglo-saxonne de la musique. « Ce à quoi j’aspire profondément, c’est, à travers la musique, à me rapprocher d’un mystère, à rejoindre les régions inaccessibles », confiait Dutilleux en 1982 à la revue Zodiaque, citée dans la brochure de salle par Christian Wasselin. Une dizaine de moments assez brefs constitue trois séquences dénommées Appels, rumeurs, puis Litanie et enfin Soliloque. L’apparition du cymbalum étonne beaucoup, comme la subdivision complexe de l’orchestration, très bien servie par nos musiciens et Măcelaru.

Retour à 1913, pour finir, lorsque Maurice Ravel arrange la Suite d’orchestre n°2 de Daphnis et Chloé, le ballet inspiré par le roman antique de Longus et composé à la demande de Diaghilev entre 1909 et 1912, dont la première eut lieu le 8 juin 1912 au Théâtre du Châtelet, dans une chorégraphie de Fokine scénographiée par le grand peintre russe Léon Bakst. Après un Lever du jour pépiant d’impatience et de sensualité, la Pantomime bat son plein, puis la Danse générale emporte le final du concert en son déchaînement dionysiaque. Une belle ouverture de saison, donc !

HK