Chroniques

par gilles charlassier

The rape of Lucretia | Le viol de Lucrèce
opéra de Benjamin Britten

Oper, Cologne (saison hors les murs) / Staatenhaus am Rheinpark
- 17 janvier 2016
À Köln, Rainer Mühlbach joue The rape of Lucretia (1946), opéra de Britten
© klaus lefebvre

Initialement prévue pour la rentrée, la réouverture de l'Opéra de Cologne dut être repoussée. C'est dans le quartier de Deutz, sous un bâtiment couleur brique, voisin de Messe (la foire) que l'institution westphalienne s'est repliée pour cette saison et la suivante. Témoignage d'une architecture des années vingt privilégiant les vastes dimensions, la Staatenhaus am Rheinpark a été réaménagé en trois salles de spectacle dont la dernière est inaugurée pour une nouvelle production de l'ouvrage de chambre de Benjamin Britten The rape of Lucretia.

Tirant parti des particularités de l'espace, où le public est réparti sur quelques rangées de tribunes de part et d'autre de l'orchestre, la mise en scène de Kai Anne Schuhmacher s'élabore autour d'un immense bassin, peu profond, au milieu duquel flotte un îlot aux fonctions dramaturgiques renouvelées, de la tente où l'héroïne sera abusée à la mélancolie d'une harpe pour l'interlude, sous les doigts de Saskia Kwast. Tandis que s'achève le Prologue où les deux solistes condensant le Chœur, féminin et masculin, déambulent sur le sable autour de la surface aquatique dessinée par Tobias Flemming, les militaires romains précèdent la caravane des femmes dissimulée sous des voiles noirs. Les costumes de Valerie Horschman équilibrent actualisation et imaginaire sans sacrifier une certaine juvénilité. Soutenue par un poétique jeu de lumières réglé par Nicol Hungsberg, la dynamique théâtrale restitue de manière originale, et avec des moyens paradoxalement inverses à ce que l'on attendrait habituellement dans un opéra de chambre, l'économie intimiste de l'ouvrage de Britten, écrin à une caractérisation intelligente des personnages qu'elle dépouille de leur supposé hiératisme antique.

Si la création à Glyndebourne en 1946 comptait des noms qui rapidement ont rejoint la légende, la pièce revient souvent à des solistes d'opéra-studios, et la présente distribution n'y déroge point, révélant des talents prometteurs, sinon remarquables. La virtuosité rhétorique du Chœur masculin de Keith Bernard Stonum transsubstantie d'éventuelles réserves vocales. Son pendant féminin, confié à Justyna Samborska, affirme une complémentarité non dénuée de séduction.

En Lucretia d'une belle justesse psychologique, Judith Thielsen palpite d'une intensité expressive qui ne dilue jamais dans la vulgarité la folie où elle finit par sombrer. In Sik Choi résume la brutalité jalouse de Tarquinius, à laquelle se révèle sensible la Lucia de Dongmin Lee, frémissant d'un babil fruité et aérien. Matthias Hoffmann dévoile en Collatinus des ressources à suivre. Mentionnons encore, hors des rangs de l'Internationalen Opernstudios der Oper Köln, le solide Junius de Christian Miedl et Gabriella Sborgi, Bianca en situation. À la tête de treize pupitres membres du Gürzenich-Orchester Köln, Rainer Mühlbach accompagne la fascinante décantation lyrique de la partition.

GC