Chroniques

par christian colombeau

The Medium, opéra de Gian Carlo Menotti
Cavalleria Rusticana, opéra de Pietro Mascagni

Opéra de Monte-Carlo
- 9 février 2007
The medium de Menotti à l'OPéra de Monte-Carlo
© opéra de monte-carlo

Compositeur italo-américain extrêmement doué pour la scène, Gian Carlo Menotti (qui s'est éteint à Monaco il y a une semaine) a écrit plusieurs ouvrages dont la force dramatique et le lyrisme lui valurent un succès populaire considérable. Ce n'est donc pas sans une certaine émotion que le rideau de la Salle Garnier s'est levé sur la production du Médium, importée du Festival des Deux Mondes de Spoletto. Il était aussi normal que les trois représentations monégasques soient dédiées à la vie et à l'œuvre du maître.

Avec Le médium, qui passe pour son chef d'œuvre – c’est aussi l’opéra le plus joué de son auteur [lire notre chronique du 2 février 2007] –, Menotti aborde le thème de la folie ordinaire et raconte la tragédie d'une femme prise entre deux mondes, un monde réel qu'elle ne comprend pas et un monde surnaturel qu'elle n'arrive pas à appréhender. De cet écart naît une œuvre d'une redoutable intensité dramatique. Écœurée par l'atmosphère de tromperie dans laquelle elle a plongé ses clients durant des années – à moins qu'elle n’en soit elle-même saisie de frayeur ! – la voyante Flora devient folle, victime des fantasmes qu'elle a créés. Qui peut ramener des croyants à la raison, des toxicomanes à la tempérance ? Un jour, croyant tuer un fantôme (l'Esprit Malin, le Diable ?...), elle abat d'une balle de revolver le petit muet qu'elle avait recueilli. En cette semaine du Salon de la voyance à Paris, la pièce reste d'une troublante actualité.

On le voit, tout repose donc sur les épaules du rôle-titre. Il y faut une forte personnalité, un physique, une voix pour imposer ce bric-à-brac dramatique dont la musique reste ce qu'elle est (un peu de tout un peu partout), avec un zeste de néoclassicisme teinté de platitude, voire de vulgarité. Dans les décors et costumes de John Pascoe, habilement dirigée par Francis Menotti (fils spirituel de qui vous savez), l'américaine Victoria Livengood fait grande impression en Baba aux allures de drag-queen déjantée pour une approche très Actors Studio (on la verrait bien dans une pièce de Tennessee Williams). L'artiste écrase aisément, sans les effacer, les interventions de Marisol Montalvo, Monica vocalement très belle, et le quatuor de comparses fort bien en place.

On l'a dit : qu'on ne cherche pas dans la partition les innovations d'un Stravinsky, d'un Gershwin, voire même d'un Bernstein. Lawrence Foster aime l'œuvre, nous la fait aimer, la transfigure : c'est le principal.

Changement d'atmosphère et de décor, en seconde partie, avec l'immortelle Cavalleria Rusticana de Mascagni, au pouvoir émotionnel et séducteur toujours identique. « La tragédie, c'est quand il n'y a plus rien à faire » : une phrase que Mario Pontiggia aurait du méditer avant de nous imposer, en guise de mise en scène, une simple mise en place sans originalité, plus proche de la pastorale des santons de Provence que d'une tragédie sicilienne. Le drame de la belle Santuzza, délaissée par son amant Turridu qui en aime une autre et provoque ainsi sa perte, abonde en morceaux de bravoure qui méritent une note plus originale que de rachitiques défilés aux poses convenues.

N'oublions pas que la conception des deux rôles féminins (Santuzza et Lucia) est une véritable réussite théâtrale. La première est la plaque tournante de l'œuvre. Irina Mishura lui confère toute la grandeur de la passion contenue et brisée. Fil conducteur des deux spectacles, Victoria Livengood transfigure littéralement la seconde qui semble porter sur ses larges épaules l'adage de Daudet : « être Mère c'est l'enfer ». Le Letton Aleksandr Antonenko possède une voix assez forte et un physique avantageux pour soutenir le bellâtre Turridu ; son interprétation est convaincante. Il sait se faire le jeune homme un peu cruel, amoureux d'une autre et lassé par sa fiancée jalouse, puis repenti lorsqu'il doit assumer la responsabilité de ses actes. Il chante un Brindisi brillant et des adieux empreints d'accents émouvants. On aurait aimé, par contre, un peu plus de présence scénique au toujours fort beau Carlos Almaguer, un rien terni, il est vrai, par la fringante et volcanique Lola de Monica Minarelli.

Lawrence Foster et l'Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo jouent le jeu sans vergogne en respectant la diabolique intensité expressive de l'ouvrage, pour un ensemble conduit avec violence, enthousiasme, mais aussi délicatesse, comme pour mieux nous précipiter, tête baissée, dans les stridences de la passion déchaînée. La masse chorale fut (faut-il encore le préciser ?) au-dessus de tout reproche.

CC