Chroniques

par cecil ameil

The Hilliard Ensemble

Flagey, Bruxelles
- 15 janvier 2005
concert du fameux Hilliard Ensemble, au Flagey (Bruxelles)
© marco borggreve

Ce n'est pas la première apparition du célèbre ensemble en Belgique, ni à Bruxelles, mais c'est le premier accueil du Flagey dans une formule à laquelle nous sommes maintenant habitués, à savoir un concert qu’encadrent une master class et une interview. Rien de tel pour retracer l'historique d'un groupe qui existe depuis plus de trente ans et en mieux comprendre l'approche musicale.

Constitué d'un contreténor, de deux ténors et d'un baryton, The Hilliard ne comprend plus qu'un membre de l'ensemble d'origine (le contreténor David James) qui fit ses premiers pas au Royaume-Uni avec trois voix accompagnées d'un piano. Quand il devint patent que la polyphonie a cappella était la voie de cet ensemble, le répertoire s'est d'abord focalisé sur des œuvres du Moyen-âge et de la Renaissance. C'est à partir de la fin des années quatre-vingt qu’Hilliard s'est ouvert à la musique contemporaine en se rapprochant de compositeurs et interprètes de leur génération. Les enregistrements consacrés à l'Estonien Arvö Part ou la célèbre collaboration avec le saxophoniste norvégien Jan Garbarek ont assis sa réputation. Aujourd'hui, la formation se caractérise par un répertoire double, puisqu’il remonte avant le XVIIe et puise dans la création de nos années soixante-dix.

Bien que l’Hilliard soit autant versé dans la musique ancienne que dans la contemporaine, le concert de samedi est consacré aux premiers courants polyphoniques, avec des œuvres de l'Ars Antiqua de la fin du XIIe siècle et des motets de Guillaume de Machaut, écrits au XIVe. Marqué par les deux grandes figures de Léonin et Pérotin, l'Ars Antiqua désigne une période de naissance de la polyphonie à trois ou quatre voix (et pas seulement deux), ainsi qu'un essor dans l'improvisation auxquelles les voix pouvaient se livrer, tout en respectant une codification précise. En outre, Pérotin a inauguré un nouveau genre, le conduit, qui désigne des compositions pour une ou plusieurs voix sur des textes en latin non liturgiques, bien que de caractère religieux.

Évêque et grand poète originaire de Champagne, Guillaume de Machaut a laissé un témoignage conséquent à travers de nombreux recueils comprenant messe, motets et autres œuvres polyphoniques. Sa sensibilité plurielle à la musique et aux textes a, dit-on, contribué de manière essentielle au développement de ce que l'on appela l'Ars Nova. Les membres de l'Hilliard expliquent que cette musique, dont les textes sont d'inspiration populaire, prend une dimension expérimentale indéniable et, de ce fait, est plutôt cérébrale ; pour preuve, le recours fréquent à une structure en trois lignes de textes renvoyant à trois voix qui se mêlent et s'entrecroisent. Comparant l'Ars Nova à la musique répétitive de Steve Reich, les interprètes considèrent que Machaut incarne la première illustration de la musique vocale moderne écrite.

La première partie du concert alterne des pages d’anonymes du XIIIe siècle et des pièces de Machaut. Instantanément, le public est saisi par l'austérité dont les quatre chanteurs font preuve dans une polyphonie policée, mais avec un accord tonal et rythmique assez stupéfiant. Un jeune ténor,Steven Harrold, a récemment rejoint l'ensemble en remplacement de John Potter, tandis que les trois autres chanteurs sont cinquantenaires. Ce changement n’en affecte pas la cohésion si caractéristique. La musique ménage de remarquables effets d'ornements individuels et de dissonances, entrecoupés de silences alternés entre voix. Le contreténor est le plus prolixe en échappées, et le baryton (Gordon Jones), bien que parfois trop discret, assure à l'ensemble son tactus.

Malgré la beauté indéniable de toutes ces variations, le discours reste assez monorythmique, même si Machaut innove en ce sens, et l'ambiance presque monacale. Dans le public, certaines oreilles regrettent la sobriété des artistes, les choix esthétiques épurés ou encore le manque de variété du programme. La seconde partie du concert ne dément pas cette impression, encore que les pièces de Pérotin apportent une fraîcheur bienvenue. Finalement, alors que les motets de Machaut faisaient la part belle au plain-chant à trois voix, avec un baryton au continuo nettement plus présent, le Beata viscera de Pérotin offre une belle occasion au vétéran du groupe d’émouvoir par la pureté de son timbre, bien que la voix trahisse une fatigue plutôt surprenante dans les attaques et le bas du spectre. De même, Viderunt omnes (également de Pérotin) est une combinaison rythmique inspirée, parfois monosyllabique, souvent entrecoupée de psaumes. En bis, The Hilliard – qui durant l'interview s'était presque engagé à présenter un avant-goût de ses interprétations contemporaines – nous enchante d'une splendide composition, ô combien périlleuse en matière de justesse, intitulée Saphir, qui clôt magistralement ce moment.

CA