Chroniques

par françois cavaillès

Thaïs
drame lyrique de Jules Massenet

Opéra de Tours
- 23 janvier 2022
Michel Plasson joue "Thaïs" à Tours, mis en scène par Jean-Louis Grinda
© marie pétry

« Tout en vrilles et volutes comme dans l’ascension des alouettes, mimant l’esprit qui, dans l’acte de méditer, va ainsi très haut joindre comme une cible son objet sacré », voici comment s’apprécie la Méditation de Thaïs, extrait le plus célèbre d’un opéra de Massenet, sous la plume bienheureuse d’un sage wagnérien devenu moine bouddhiste en Extrême-Orient (in Jean Marcel, Méditation de Thaïs. Carnet d’une expérience, Presse de l’Université de Laval, 2014). Un vrai regard asiatique est même porté cet hiver sur Thaïs, drame lyrique de 1894 menant une grande carrière internationale, au vu du spectacle donné à Tours au début de 2022, fruit d’une coproduction luxueuse entre les opéras de Hong Kong et de Monte-Carlo.

Pour peu qu’elle lui soit fidèle, l’adaptation à l’opéra de l’audacieux roman d’Anatole France (sans doute fier de figurer alors à l’Index librorum prohibitorum) se savoure volontiers en un voyage à dos de chameau, roulant sa bosse à travers le désert sur les traces de la sainte courtisane égyptienne du IVe siècle. Toutefois Massenet ne parcourt pas tant le catalogue de l’orientalisme connu de son temps, non plus la mise en scène moderne de Jean-Louis Grinda (directeur de la maison monégasque) conçue en grand spectacle truffé de trouvailles visuelles, sur vidéo au noir et blanc pour la plupart, mais aussi présentes dans les costumes de Jorge Jara, d’une fantaisie carnavalesque, et plus largement dans la scénographie de Laurent Castaingt grâce au recours à un immense miroir amovible qui plafonne la scène. Animé, beau et implacable, le dispositif impressionne par les effets de perspective qu’il crée, en chargeant le cadre scénique d’éléments à l’aspect changeant (rocaille lunaire, cours d’eau, ciel orageux, etc.) ou en jouant jusqu’au vertige de visions multiples d’un être filmé, dédoublé grâce à un figurant ou reflété par la glace.

L’intrigue représente la quête sentimentale et consciencieuse d’Athanaël, mais la conception même du héros semble ratée. Le moine est réduit au plus bête, un vulgaire assassin, vu et revu en gros. Qu’à cela ne tienne, André Heyboer défend le rôle avec superbe. Aux graves agréables, sous son premier abord aussi pieux que barbu dans l’angoisse du premier tableau, le baryton [lire nos chroniques du Roi d’Ys, de La Navarraise, Lakmé, Samson et Dalila et Simon Boccanegra] se fait onctueux, colérique, fiévreux, suivant l’évolution du personnage jusqu’au plus subtil et au plus tragique. À la fois brut et tendre au premier duo, avec la même réussite il laisse abasourdi au second, et ravi par sa voix de stentor dans l’air Voilà donc la terrible cité, pour parachever une performance toute vigueur et grâce.

Dans le rôle-titre, Chloé Chaume se montre d’abord modeste et presque frivole, même coiffée d’une tiare gigantesque brillant de mille feux [lire notre chronique du Messie du peuple chauve]. Le premier air, Qui te fait si sévère, est marqué par une remarquable gradation du chant, timbré et gracieux, à la chaude émission. D’un filet soyeux, l’air du miroir déborde de sensibilité heureuse et, sur fond d’images de mains vieillissantes, participe à l’émotion dégagée dans cette scène. Même si le contre-ut de la toute fin du premier acte semble heurté, la cantatrice se montre à son avantage dans les duos et bonne comédienne jusqu’à la désincarnation finale de Thaïs.

Toujours claire et mélodieuse, la basse Philippe Kahn signe un grand Palémon [lire notre chronique de Dialogues des carmélites], tandis que le ténor Kevin Amiel plaît beaucoup par l’habileté et le lyrisme apportés à Nicias, le jeune philosophe sybarite. Les piquantes Esclaves Anaïs Frager et Valentine Lemercier rendent efficacement leur petit duo ensorcelé, puis le cantique de la beauté durant le divertissement plein de volupté donné par le Chœur de l’Opéra de Tours et les six danseurs acrobates tant véloces que délicats. En Abbesse Albine, Hagar Sharvit présente un très bon mezzo charnu. Quelques vocalises suffisent au jeune soprano Jennifer Courcier pour laisser bonne impression par le timbre, sans néanmoins donner la pleine dimension de son talent déjà reconnu.

Enfin, au sommet de la soirée, saluons le travail de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours dirigé par Michel Plasson, pour la finesse des harmonies, la justesse des couleurs, l’éclat et le brio ainsi quel’excellente tenue générale.

FC