Chroniques

par françois cavaillès

Tannhäuser
opéra de Richard Wagner

The Metropolitan Opera HD Live / Gaumont Capucines, Paris
- 31 octobre 2015
Levine joue Tannhäuser de Wagner, avec Johan Botha dans le rôle-titre
© marty stohl | metropolitan opera

La saison du Met’ se poursuit sur nos grands écrans, à nouveau sous la direction musicale de James Levine. En poste sur l'île de Manhattan depuis 1976, mais absent depuis près de deux ans pour des raisons de santé, le chef d'orchestre nord-américain, en chaise roulante, nous mène dans un étrange voyage dans le temps. New York, 1977 ; le rideau se lève sur une production de Tannhäuser appelée à marquer les esprits jusqu'à nos jours.

Présentée en début de saison comme un grand classique (de retour avec le maestro), la mise en scène d'Otto Schenk paraît en fait plutôt sobre, peu créative dans l'ensemble et sans grands artifices [lire nos chroniques du 8 février 2013 et du 12 avril 2011, ainsi que notre critique du DVD de sa Lulu viennoise de 1962]. Parti sur les chapeaux de roue, le cinquième opéra de Wagner donne pourtant toujours le frisson, grâce aux grands moyens musicaux du Metropolitan, aussi bien en fosse que dans les voix, toutes impeccables ou presque. L'Ouverture, plus fondante que nerveuse, puis la bacchanale du Venusberg, mimant lentement des ébats endiablés, suivie du combat, distant mais emporté, entre le séduisant mezzo-soprano Michelle DeYoung (Venus) et le rude ténor Johan Botha au timbre cuivré (Tannhäuser), sans oublier les premiers chœurs (des sirènes, puis des pèlerins), merveilles de la maison, spectraux... Excitant pendant tout un acte, en dépit de lumières et d'un décor très monotone.

Puissant, évident, implacable, le drame wagnérien fait – hélas ! – une embardée lors du deuxième acte. Fort attendue, Elisabeth ne déçoit pas, bien au contraire, superbe princesse dans le chant et dans la tenue, et comme touchée par la grâce dans son émotivité, à fleur de peau... Cette héroïne « moderne », bien qu'engoncée dans une soirée-spectacle vieillotte, est offerte par le soprano Eva-Maria Westbroek, véritable étoile de la nuit, éblouissant notamment les duos amoureux [lire notre chronique du 30 décembre 2007]. En revanche, le concours de chant frise le grotesque, à voir comment les invités s’installe pour littéralement occuper l'espace scénique convenu, leurs costumes kitsch, leurs réactions uniformes, etc. Épaisse comme la tunique des chanteurs, la sauce américaine a tourné.

La sortie de ce Moyen Âge de pacotille passe par un dernier acte enfin habité, ouvert par le Wolfram très convaincant du baryton Peter Mattei, dans la belle pénombre d'une forêt hivernale désertique. La magnifique prière d'Elisabeth, puis sa transfiguration portée par une musique aussi mélodieuse que transcendante, y expriment la volonté de vivre, d'aimer... et rappellent tout le bonheur d'aller à l'opéra. Comme un superbe mirage s’approche ensuite la dernière apparition de Venus. De quoi finir en beauté, comme souvent au Met’, seulement attention à la conclusion pathétique ! Mieux vaut donc ici freiner.

FC