Chroniques

par bertrand bolognesi

Symphonie en si bémol majeur Op.82 n°5 de Jean Sibelius
Concerto pour piano en ré mineur Op.15 n°1 de Johannes Brahms

Nikolaï Lugansky, Orchestre national de France, Dima Slobodeniouk
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 1er décembre 2016
Sous la battue inspirée de Dima Slobodeniouk, l'ONF magnifie la 5e de Sibelius !
© marco borggreve

D’emblée, la sonorité du Maestoso surprend. Impérative, opulente parfois, elle s’édifie sur une ciselure du timbre qu’on entend assez rarement, sans pourtant s’affirmer dans la clarté. Est-ce bien l’Orchestre national de France ? Il n’y a pas de doute, mais il semble que la direction farouche, presque aride, de Dima Slobodeniouk favorise des couleurs moins directement livrées que d’habitude.

Le Concerto en ré mineur Op.15 n°1 de Johannes Brahms n’est assurément pas une page heureuse. Le jeune compositeur s’engage dans sa conception alors que Schumann, le maître adoré, tourne décidément la tête vers des mondes impensables (1854), le laissant dans un grand désarroi. Les demi-teintes inattendues de l’introduction invitent un piano d’une douceur rigoureuse. Rien qui n’empêche de goûter la délicatesse des alliages, comme ce duo cor-piano toujours étonnant, mais une sévérité générale qui refuse le brio. Ce Poco più moderato est sombre comme la déception, mais aussi fort délicatement ouvragé, jusqu’en la démultiplication rythmique que l’on sait, ici dentelle protectrice plutôt qu’attribut ornemental. À la perfection de la forme répond la discrétion sérieuse du jeu de Nikolaï Lugansky.

Benedictus qui venit in nomine Domini est inscrit sur le mouvement médian, par la main de Brahms. Slobodeniouk distille une solennité simple à l’introduction de cet hommage à Schumann. Lugansky répond dans une gravité nue. Les commentateurs ont parfois parlé de romantisme quant à ce passage ; nous y entendons une péroraison d’un modèle plus ancien, un tombeau choral dont aujourd’hui le gypse dignement se ruine sous la voûte, dépourvu de tout lyrisme, par conséquent inaccessible au pathos dix-neuviémiste. La calme ascension finale plonge l’auditoire dans un recueillement indicible que rompt, attacca, le Rondo conclusif, pris dans un tempo sage, sans s’écheveler dans une espérance qui, par conséquent, reste hésitante – quelque chose de ravagé, cependant, s’agrippe à la forme. Après ces pudiques déliquescences, le fugato renoue avec la tonicité. Cette lecture ne s’affranchit pas d’une inquiétude qui la maintient fermée. Mendelssohn, avec l’un de ses plus tendres Lieder ohne Worte, est offert en bis à un public qui l’écoute dans une grande concentration, jusqu’à le laisser s’éteindre sans précipiter l’applaudir.

Cinq ans. À Sibelius il fallut rien de moins que cinq ans pour écrire la Symphonie en si bémol majeur Op.82 n°5 dont la conception se jalonna de nombreux atermoiements – il y eut d’ailleurs trois versions, dont la première, en 1915, comportait quatre mouvements. Du coup, la mouture définitive de 1919 infiltre en partie le deuxième mouvement initial dans une section de son premier épisode. Les alliages de vents sont minutieusement travaillés, l’ostinato s’imposant dans un geste au grand souffle qui ne dédaigne en rien le raffinement des couleurs, envoûtant, où se dessine quelque parentèle avec Janáček.Outre l’autorité sereine des cuivres, il faut souligner la clarté du basson solo, sur un frémissement des cordes. En Dima Slobodeniouk [lire nos chroniques du 14 janvier 2012 et du 1er décembre 2010], la facture complexe de cette ouverture trouve un défenseur avisé, infiniment soigneux, mais encore ardent. L’affinité du chef d’origine moscovite avec la musique de Sibelius est une évidence. Le triomphe final du Presto laisse sans voix.

L’Andante mosso se distingue comme une danse gelée, les pupitres ne s’y parlant pas dans les mêmes temps, pourrait-on dire. On admire la précision des bois de l’Orchestre national de France, notamment sur le chemin d’accords glissés (flûtes, clarinettes, hautbois). Certaines superpositions révèlent un lyrisme contenu – sachant qu’en Angleterre Thomas Beecham et Adrian Boult firent connaître les symphonies de Sibelius à partir des années trente, on ne s’étonne pas d’y entendre les prémisses de certains procédés de Britten dont on suppose qu’il les découvrit jeune étudiant, puis directement après la guerre, à son retour des USA. La vivacité de l’Allegro molto conclusif témoigne d’une expressivité souple qui dose sensiblement les équilibres – à l’opposé de l’âpreté vérifiée dans Brahms. Toutefois, l’emphase du final ne s’épanouit pas plus qu’il ne faut, laissant les cuivres chanter droit plutôt que s’ébrouer dans la liesse, jusqu’aux six accords lapidaires. Grand succès, pour cette interprétation captivante, valant au chef pas moins de six rappels.

BB