Chroniques

par bruno serrou

Staatskapelle de Dresde en son jardin

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 17 mai 2010

Paris est le rendez-vous obligé des grandes phalanges symphoniques du monde. Au point que le mélomane ne sait plus où donner de la tête, plusieurs formations internationales de haut rang se produisant chaque soir de cette semaine, voire la même soirée. De quoi regretter notre condition de terrien dépossédé du don d’ubiquité… Et l’on se met à cauchemarder en songeant à ce que certains édiles en mal de plans drastiques d’économies se mettent à envisager à se passer de financer des orchestres parisiens !

Ainsi le Théâtre des Champs-Elysées accueille-t-il ce lundi le plus ancien des orchestres modernes, le plus chargé d’histoire aussi, l’un des symboles vivant de la musique, l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde, fondé au milieu du XVIe siècle. Cette phalange traverse en ce moment une tempête interne, se retrouvant sans tête avec un poste de directeur musical vacant, le titulaire, l’Italien Fabio Luisi, étant parti sous d’autres cieux sans crier gare, le nouveau, l’Allemand Christian Thielemann, n’étant pas encore libéré de son contrat en cours. Ainsi est-ce le Français Georges Prêtre qu’on appelait à la rescousse pour diriger un programme qui permet à la Staatskapelle de chanter en son jardin.

En effet, la première partie du concert est consacrée au seul Richard Strauss qui considérait l’orchestre saxon comme le plus apte à jouer sa musique, depuis qu’Ernst von Schuch avait donné dans la fosse de la Hofoper la création de son deuxième opéra, Feuersnot, en 1901. Jusqu’à Daphné en 1938, tous ses ouvrages lyriques y furent créés, à de rares exceptions près. Essayant de donner l’impulsion, économe en gestes et souvent en retard sur l’orchestre, Georges Prêtre brosse de la Danse des sept voiles (extraite de Salomé) une lecture brouillonne manquant de structure dramatique, suivie d’une première Suite de valses du Chevalier à la rose aux atours de brasserie munichoise, avec bières aux larges faux-cols.

Comme par magie, tout se transforme soudain, dans la scène finale du même Chevalier à la rose, confiée à un magnifique trio vocal, les sopranos Genia Kühmeier (Sophie) et Anne Schwanewilms (la Maréchale), et, surtout, le mezzo Bernarda Fink, rayonnant Oktavian. La Staatskapelle se fait alors onctueuse, exaltant des couleurs chaudes et sensuelles, les pupitres rutilant pour envelopper chacune des voix de timbres foisonnants aux milliers de sortilèges.

La seconde partie du concert est vouée à la Symphonie n° 3 « Eroica » de Beethoven. L’orchestre en propose une interprétation d’une unité et d’un élan éblouissants, les musiciens regardant peu un chef qui se contente de brasser de larges gestes souvent décalés. Il n’en reste pas moins une impression d’achevé, le sentiment d’avoir assisté à un moment enchanteur, tant les instrumentistes de la Staatskapelle Dresden incarnent littéralement cette musique qui leur va si bien.

BS