Chroniques

par jorge pacheco

solistes de l’Ensemble Intercontemporain
œuvres d’Antheil, Cage, Feldman, Holliger, Robin, Sciarrino et Varèse

Cité de la musique, Paris
- 21 novembre 2012

C'est un concert formidable qu'offrent les solistes de l'Ensemble Intercontemporain pour la quatrième journée du cycle Futurismes à la Cité de la musique [lire nos chroniques des 17 et 20 novembre 2012]. Loin de la capacité d'accueil de la grande salle, le petit mais charmant amphithéâtre constitue un cadre intime idéal pour les sept musiciens qui s’en donnent à cœur joie devant un public totalement captivé. Réunissant des œuvres solistes ou chambristes pour instruments à vent, piano et percussion, le programme, d'une durée exceptionnellement convenable, laisse même le temps, en fin de concert, pour un tête-à-tête entre auditeurs et interprètes, dans une ambiance de totale convivialité.

De Varèse à Yann Robin, la soirée aborde la thématique de la modernité sous l'angle du son, autrement dit du refus de la domination de systèmes d'écriture rigides sur l'art musical. Instruments rares, sonorités étranges, effets de souffle et distorsion du timbre y sont abondamment présents (déclenchant plus d'un sourire çà et là).

Après Densité 21,5, célèbre pièce pour flûte seule d'Edgar Varèse, interprétée avec conviction par Sophie Cherrier, c'est au tour de Music for Amplified Toy Pianos de John Cage. Le pianiste Sébastien Vichard, dont la clarté et la précision émerveillent ensuite dans la Sonate pour piano n°2 « Airplane Sonata » de George Antheil, dirige alors les percussionnistes Samuel Favre et Victor Hanna. Dans une démarche fortement théâtrale, tous trois se servent d'une panoplie d'objets domestiques, allant du papier journal au biberon, pour produire toute sorte de sonorités, qui, amplifiées et spatialisées par des enceintes, accompagnent celle du piano-jouet. Cette pièce constitue sans doute un des points culminants de ce menu (peut-être un peu trop tôt venu). Le public en suit chaque détail avec le plus grand intérêt, à en juger par les nombreux rires durant l'exécution et les innombrables questions sur l'œuvre à la fin du concert. La surprise est donc majeure dans l'auditoire lorsque, l'une de ces questions portant sur le déroulement des répétitions, le trio avoue ne pas avoir du tout répété... De quoi donner raison à ceux qui croient la magie de la musique insaisissable.

Sans entracte qui vienne noyer l'enthousiasme, le concert se poursuit avec deux œuvres de chambre. Instruments I de Morton Feldman fascine par ses sonorités ténues évoluant presque imperceptiblement. Muro d'orizzonte de Salvatore Sciarrino, belle pièce pour flûte en sol, cor anglais et clarinette basse, met en œuvre sons de clés, souffles et barrissements, dans une structure ludique qui semble découler d'elle-même par une force naturelle d'une simplicité et d'une logique irréfutables. La clarinette d'Alain Billard, au centre, mène le discours avec sa ligne parsemée de slaps, tongue rams et autres effets, dans un jeu qui ne cesse de surprendre.

Pour Cardiophonie d’Heinz Holliger, c'est du hautbois de Didier Pateau qu’on se délecte. Dans cette page (peut-être moins brillante que d'autres du compositeur), des battements de cœur enregistrés s'accélèrent peu à peu, en même temps que la densité de la ligne du hautbois se complexifie et se dédouble grâce au traitement électronique, préparant de manière unidirectionnelle une fin fort théâtrale. Malgré ce déroulement assez prévisible, Pateau parvient, grâce à son jeu virtuose et raffiné comme à son énergie, à retenir notre attention à travers chaque étape de la partition.

Chants contre champs pour cor anglais, trombone et clarinette contrebasse du jeune Yann Robin (qui ferme le concert) revient sur les sons graves que le compositeur affectionne tant. Le timbre des instruments est soumis à différents types de distorsion, à commencer par celle infligée par l'utilisation abondante du registre extrême grave, zone où l'émission se fait instable. Les musiciens doivent ensuite chanter dans leur instrument, ce qui brouille et enrichit le spectre harmonique. La pièce de Robin (présent dans la salle) remporte un succès mérité auprès d'un public qui ne cesse d'applaudir.

En fin de soirée, les sept musiciens reviennent sur scène, certains d'entre eux ayant remplacé leur habit de concert par une vêture moins solennelle. Nous retiendrons l'émouvante intervention de la flûtiste Sophie Cherrier qui, invitée à dire ce qui lui vient à l'esprit après un moment comme celui-ci, se déclare heureuse de pouvoir partager de la « belle musique entre amis », sentiment vraiment perceptible dans sa performance. Seul point noir : une attitude pas toujours aussi généreuse de la part de certains de ses collègues face à des questions ou des commentaires du public peut-être estimés comme pas assez pertinents. Nous partons cependant avec la sensation que ce genre de rencontres entre musiciens et auditoire reste salutaire ; nous aimerions les voir se multiplier dans l'espoir d'une nécessaire et attendue massification des musiques d'aujourd'hui.

JP