Chroniques

par bertrand bolognesi

Solistes de Chambre de Saint-Pétersbourg
œuvres d’Arenski, Borodine et Taneïev

Auditorium du Musée d'Orsay, Paris
- 3 novembre 2005

Nous vous en parlions il y a quelques jours : le musée d'Orsay propose une Saison russe avec l'exposition L'Art russe dans la seconde moitié du XIXe siècle et une série de concerts qui permet de faire entendre un répertoire encore rare [lire notre chronique du 18 octobre 2005]. Il semble d'ailleurs que les salles parisiennes ce soient donné le mot, puisque ce mois de novembre accueillera l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Champs-Élysées, que la troupe du Théâtre Mariinski et son chef Valery Gergiev donneront d'ici peu Le nez de Chostakovitch à l'Opéra Bastille, enfin que Kurt Masur s'investit dans une intégrale Tchaïkovski à la tête de l'Orchestre National de France, engagée cette semaine par Nikolaï Lugansky dans le Concerto Op.23.

Cette soirée à l'Auditorium est ouverte par le Quintette pour piano et cordes en ut mineur d’Alexandre Borodine. Les Solistes de chambre de Saint-Pétersbourg ménagent une sonorité plutôt ronde à l'introduction de l'Andante, tout en s'avérant toujours extrêmement précis. La couleur générale est assez sombre, jouant sur d'âpres répons du premier violon, dans une pâte cependant généreuse venant affirmer la cohérence ténue du discours musical comme de l'expressivité. Les premières mesures du Scherzo central s'ornent d'un parfum plus populaire, sans déroger à la gravité, où l'on remarque particulièrement les accents farouches du violoncelle d’Alexeï Massarsky ; une légèreté mesurée ne serait toutefois pas malvenue. Jouant avec les contrastes du piano et la suavité inattendue de l'alto, cette interprétation bénéficie d'un relief stimulant. L'élégie du Finale s'impose dans le pudique recueillement d'une rêverie plaintive que traversent quelques élans plus convulsifs. Si l'on apprécie un beau travail de couleurs, quelques approximations de hauteur de la part des deux violons gêne l’écoute. Cela dit, la mobilité du tempo est d'une souplesse évidente, et l'énergie formidable, l'équilibre idéal, sans compter le solo magnifiquement nourri d’Alexeï Ludevig à l'alto, et une fin dans un lyrisme épanoui, signant une exécution à bras le corps.

Le Quintette pour piano et cordes en ré majeur Op.51 d’Anton Arenski s'affirme ensuite par une ouverture festive et brahmsienne pour un Andante conduisant dans une série de variations toutes plus verbeuses les unes que les autres. Si les musiciens parviennent à tracer un chemin dans une écriture chargée, l'auditeur s'y perd. L'œuvre développe ensuite un climat plus méditatif dont le piano d’Igor Uryash sait porter loin le chan. L'héritage de Tchaïkovski se dessine amplement dans les passages traversés d'un certain pathos, tandis que des réminiscences de Chopin et de Rubinstein habitent les épisodes plus tendres. Particulièrement enjoué, le Scherzo se développe dans une volubilité débordante, opposant le déluge de fastes tapageurs à une romance gentiment désuète. Pour finir, la Fugue couronne une exécution fougueuse et copieusement colorée.

Pianiste reconnu dès ses dix-huit ans, âge auquel il donna le Concerto Op.15 de Brahms sous la direction de Nikolaï Rubinstein (1875) d'une façon qui lui valut l'admiration affirmée de Tchaïkovski, son professeur dont il créerait l'automne suivant le Concerto en si bémol mineur, Sergueï Taneïev nourrit son univers compositionnel de celui des maîtres fréquentés au Conservatoire de Moscou, de la musique populaire de son pays et, lors d'un séjour parisien qu'il vécut à vingt ans, de la rencontre avec Duparc, Saint-Saëns et Fauré. C'est dans ces influences aussi diverses que complémentaires qu'il édifie rapidement un style personnel que quatre symphonies, deux cantates, plusieurs chœurs et concerts vocaux – genre important de la tradition musicale russe – et de nombreux opus chambristes solidifient jusqu'à Орестея, son opéra sur la tragédie des Atrides.

Le premier mouvement de son Quintette pour piano et cordes en sol mineur Op.30, écrit en 1911, transporte dans un climat tout autre où les mystères d'un piano un rien flouté dynamisent discrètement les échanges clairs des cordes. Sans souligner la qualité intrinsèque de la construction, les solistes en exacerbent le lyrisme. Survient alors un interrogatif et bondissant Scherzo aux pérégrinations fiévreuses que l'absence de nuances dessert. Plus probante s'avère l'interprétation du Largo, entrelaçant des motifs récitatifs à un mouvement perpétuel. Mais l'œuvre est longue, éprouvante même, et requiert une endurance rarement au rendez-vous en fin de concert (peut-être eut-il été plus judicieux d'inverser les deux parties, commençant par Taneïev, puis Borodine et Arenski pour finir) ; du coup la réalisation du Finale s'essouffle, les artistes ne se risquent pas à des subtilités de nuances, exténuant l'écoute dans une orgie superlative certes spectaculaire mais inepte.

BB