Chroniques

par laurent bergnach

soirée américaine avec Crumb et Reich
musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 12 septembre 2018
quatre musiciens de l’Opéra national de Paris jouent Crumb et Reich
© dr

La rentrée de l’Opéra national de Paris débute à peine – avec la reprise du Tristan und Isolde de Peter Sellars, ce 11 septembre [lire notre chronique du 30 octobre 2008] –, que déjà l’on propose un concert chambriste avec les musiciens de l’orchestre à demeure. Il s’agit du premier des cinq rendez-vous de cette saison, chacun désigné selon sa thématique (Trompettes et trombones, Sérénades pour vents, etc.). Celui-ci, Pianos et percussions, réunit des pièces de nos contemporains George Crumb et Steve Reich.

Dans les années soixante, Steve Reich (né en 1936) [photo] et Terry Riley travaillent sur le déphasage (phasing) – appelé aussi décalage temporel –, un procédé qui repose sur la superposition de deux ou plusieurs sources sonores, à l’image du canon moyenâgeux. Reich commence par assembler deux bandes magnétiques (It’s gonna rain, 1965 ; Come out, 1966), remplace l’une d’elles par un saxophone soprano (Reed Phase, 1967) avant de réunir des instruments acoustiques, sans l’apport de notes enregistrées. C’est la naissance de Piano Phase, créé Park Place Gallery (New York), le 17 mars 1967.

Si l’on a déjà entendu l’œuvre sous les doigts d’un seul interprète – la vidéo du jeune Rob Kovacs est une des surprises de YouTube –, nous découvrons ce soir le jeu tonique et régulier de Christine Lagniel que contrepointe son confrère Jean-Yves Sebillotte, d’une allure plus cahotante. Une bonne acoustique permet de sentir toutes les variations de ce quart d’heure minimaliste (approche et éloignement, netteté et flou), lesquelles confortent une matière musicale qui, en son temps, bouscula les certitudes européennes – pourtant, mieux vaut Rothko que Dalí ! Dommage qu’un long néon clignotant au sol en fond de scène, cinq minutes avant la fin, vienne contrarier l’effet hypnotique de la musique seule, la réduisant à un élément de son et lumière contestable.

Jean-Baptiste Leclère enchaîne immédiatement Nagoya Marimbas, vite rejoint par Nicolas Lethuillier. Commande du conservatoire de la ville de Nagoya (Japon), pour l’inauguration du Shirakawa Hall, cette courte pièce y est créée le 21 décembre 1994. Ancien batteur de jazz, Reich affectionne ce xylophone boisé auquel il a confié plus d’une transcription – celle de Piano Phase et celle de Six Pianos (1973), devenue Six Marimbas (1987). Vingt-cinq ans après son émergence dans son art, le phasing s’y fait moins aride, plus mélodique, presque dansant. Ainsi cette courte section pianissimo qui fait contraste, passerelle vers le crescendo final.

L’auteur de The Desert Music [lire notre chronique du CD] n’attend plus qu’on lui fasse une place sur nos scènes – le Festival d’Automne à Paris offrant de retrouver Fase (1982), le ballet mythique d’Anne Teresa De Keersmaeker, dans quelques jours –, au contraire de son compatriote George Crumb (né en 1929). En France, on connaît l’Américain moins pour Star-Child [lire notre chronique du 17 avril 2018] que pour Makrokosmos, deux cycles pour piano seul [lire nos chroniques du 17 juin 2008 et du 22 septembre 2007], sans toujours savoir qu’il en existe un troisième épisode : ce Music for a summer evening joué ce soir, après l’entracte, avec son instrumentarium cher à Bartók. Cinq mouvements forment l’œuvre donnée pour la première fois au Swarthmore College (Pennsylvanie), le 30 mars 1974.

Nocturnal Sounds (The Awakening) installe une complicité entre pianos et percussions – celles-ci annonçant déjà leur diversité et leur audace (archet glissant contre un gong, crotales posées sur une timbale, etc.), soit en écho discret, soit en feu d’artifice. Plus qu’ailleurs, le calme Wanderer-Fantasy affirme le caractère nocturne de l’opus, les percussionnistes jouant de flûtes à coulisses dans la queue d’un piano que ses cordes pincées transforment en clavecin. Dans The Advent surgit quelque chose de ténébreux, sinon de gothique, des élans sauvages mêlant le métal (cloches tubes, plaque vibrante) aux chantonnements. Myth, quant à lui, mêle les sons d’Asie (flûte à bec, cailloux choqués) à ceux d’Afrique (mbira). Enfin, Music of the Starry Night offre, ici et là, de tendres réminiscences romantiques sur piano préparé.

LB