Chroniques

par vincent guillemin

Salome | Salomé
opéra de Richard Strauss

Opernhaus, Zürich
- 4 mai 2014
Salomé de Richard Strauss, mis en scène par Sven-Eric Bechtolf à Zürich
© suzanne schwiertz

En portant cette année la production zurichoise de Salome par Sven-Eric Bechtolf (créée en 2010 par le soprano Gun-Brit Barkmin), Nina Stemme plonge le rôle-titre dans une vocalité d’une ardeur brute et quasi surnaturelle. Dans un décor semi-circulaire en huis clos pouvant illustrer l’intérieur de la citerne de Jochanaan, Bechtolf propose une mise en scène simple et défendable de cet opéra en un acte. Avec ses collègues Rolf et Marianne Glittenberg (décor et costumes), il enferme l’action dans un simulacre d’enfer aux relents rougeâtres, sans chercher à refaire le monde. Tout se passe dans un unique espace gris-rouge, entre l’ouverture en arrière-scène, cinq cages sortant du sol et y entrant, des canapés collés aux parois qui montent jusqu’en haut du cadre. La scénographie réinvente un peu certains personnages, parfois avec brio – comme Narraboth qui hésite à égorger Salomé avant de se donner le coup fatal, ou comme le Page toujours en scène comme un rapporteur de l’histoire –, d’autres trop sagement, à commencer par Jochanaan trop survolé dans sa djellaba en charpie. L’héroïne est très classiquement traitée, sensuelle dans la danse (une danseuse prend le relai de la chanteuse pour endiabler la scène) et brutale le reste du temps, assoiffée de sang lorsqu’elle embrasse la tête du saint qu’elle a sacrifié.

La distribution est portée par deux protagonistes de haute volée. Dans le rôle du capitaine syrien, Benjamin Bernheim possède la voix chaleureuse et claire qui s’accorde parfaitement à sa maîtrise de chaque note. Du côté des femmes, Nina Stemme – pour laquelle on aurait pu croire le rôle trop lyrique pour l'évolution actuelle de sa voix – a la projection, l’ampleur et une facilité d’aigus qui ramène souvent le personnage vers Elektra, crée quatre ans plus tard, et qu’elle chantera à partir de 2015 (Vienne et New York). Écrit dans un registre peut-être trop haut pour une basse, Jochanaan chez Evgueni Nikitine révèle les mêmes difficultés techniques que son Hollandais parisien de début de saison [lire notre chronique du 18 septembre 2013]. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke campe un Herodes correct (en remplacement de Rudolf Schasching, annoncé malade), tandis qu’en Herodias Hanna Schwartz montre les limites de quarante années de carrière, la ligne manquant désormais de stabilité. Le Page est bien tenu par la chanteuse russe Anna Goryachova, toutefois beaucoup plus impressionnante hier soir en Polina dans La dame de Pique [lire notre chronique de la veille]. Le reste de la distribution se tient, surtout les deux soldats investis de Valery Murga et Alexeï Botnarciuc.

Au pupitre, Alain Altinoglu – qui connait bien l’ouvrage [lire notre chronique du 7 novembre 2009] – manque parfois de sensualité et de lyrisme, tout en maîtrisant particulièrement bien les équilibres complexes de l’œuvre. Il surprend même dans la danse des sept voiles dont les ruptures rythmiques sont efficacement gérées, et la valse est traitée avec une volupté toute particulière. Le final fait oublier le manque de noirceur ou de nervosité des mesures les plus tendues, où le Philharmonia Zürich, non exempt de quelques écarts, n’appelle qu’un vrai reproche : l’absence d’un caractère stylistique à part entière qui le rendrait clairement reconnaissable.

VG