Chroniques

par hervé könig

Saint François d’Assise
opéra d’Olivier Messiaen

Staatstheater, Darmstadt
- 11 novembre 2018
Dans le rôle-titre, le jeune baryton Georg Festl évite tout ton compassé
© stephan ernst

Lorsqu’en 2008, il s’agissait de célébrer le centenaire de la naissance d’Olivier Messiaen, on a beaucoup joué sa musique. À travers de nombreux récitals de piano, dans les programmes des phalanges symphoniques françaises, Orchestre de Paris en tête, le compositeur fut dignement honoré, on s’en rappelle. Qu’en a-t-il été, cependant, de Saint François d’Assise ? Créé au Palais Garnier le 28 novembre 1983, dans une mise en scène de Sandro Sequi, avec Seiji Ozawa au pupitre, l’unique opéra de Messiaen, qui lui avait été commandé plusieurs décennies auparavant par Rolf Liebermann, revient à Paris une dizaine d’années plus tard, à Bastille, dans la remarquable mise en scène que Peter Sellars a réalisée pour le Salzburger Festspiele. En 2004, une troisième production, assez lamentable, est montée à l’automne par Stanislas Nordey. Et en 2008 ? Alors qu’on aurait fort bien pu reprendre la proposition Nordey – lamentable, oui, mais ç’aurait été mieux que rien –, voire restaurer celle de la création (Sequi), l’Opéra national de Paris se tait. C’est à la salle Pleyel qu’est joué Saint François d’Assise… en version de concert ! bref, une nouvelle fois, la France n’a pas été à la hauteur du rendez-vous. Le 27 avril 2022, il y aura exactement trente ans, jour pour jour, que nous aurons perdu Messiaen : peut-être l’occasion d’un nouveau prêche aux oiseaux à la Grande Boutique ?...

Prolongeant le rêve de sérialisme intégral auquel Webern aspirait, Messiaen présente à Darmstadt Mode de valeurs et d’intensités, deuxième de ses Quatre Études de rythme pour piano (1948-49). La réception de l’œuvre, par la jeune génération de compositeurs, lors de cette académie d’été de 1950, est un choc qui détermine tout un pan de la création postsérielle dès lors envisagée. Justement, c’est à Darmstadt que l’on joue aujourd’hui une nouvelle version scénique de Saint François d’Assise. Tandis qu’au château de Versailles les Wiener Philharmoniker donnent un concert allemand, anglais, autrichien, étasunien et français (Beethoven, Debussy, Holst, Ives, Mozart, Ravel, Vaughan William et Wagner) dans le cadre de la commémoration de l’Armistice de 1918, nous retrouvons sur le sol allemand l’opéra de Messiaen.

Dans la conception scénique de Karsten Wiegand, Saint François d’Assise paraît relever plus d’une sorte d’oratorio semi-scénique que de l’opéra à proprement parler – mais rien à voir avec le sombre et pieux somnifère de Nordey, Dieu merci ! Grâce à la chorégraphie de Nira Priore Nouak et aux vidéos de Roman Kuskowski – images empruntées aux fameuses Storie di Francesco de Giotto (fin du XIIIe siècle), envols des oiseaux, déplacement du clair de lune, naissance d’un poussin, etc. –, les cinq heures occupées par les huit tableaux de l’œuvre s’élèvent au niveau de la méditation religieuse en dépassant la notion du temps. Cinq heures, vraiment ? Bien malin qui s’en rendrait compte. La scénographie très sobre de Bärbl Hohmann, dont chaque élément a été rigoureusement pensé, favorise une déambulation qui paraît assez libre. La seule scène réellement théâtrale concerne le drame de la lèpre, le baiser de paix, d’amour et de guérison du Saint, qui génère une danse exaltée du malade. La simplicité des costumes d’Andrea Fisser est un autre atout pour laisser parler le livret contemplatif écrit par Messiaen lui-même à partir des Écritures.

Rôle écrasant écrit à l’attention de José van Dam qui l’a créé (1983) et le chanta encore à Salzbourg (1992) et à Paris (2004), François est tenu par un jeune baryton très talentueux, Georg Festl, dont la densité éloigne avec naturel la tentation d’un ton compassé. Ce François est incarné, véritablement. Il s’attache surtout à la musicalité (de la partition mais aussi de la langue), avec une conviction artistique, une élégance et une santé vocale des plus louables. Le timbre tendre de Julian Orlishausen convient parfaitement au craintif Léon, bien chanté. Michael Pegher campe d’une voix sûre un Élie solide. De même Johannes Seokhoon Moon offre-t-il tonicité et mordant à Bernard. L’expressivité exacerbée du ténor Mickael Spadaccini apporte à la partie du Lépreux le poignant requis. Avec une absence de tout effort apparent, Katharina Persicke survole la partie de l’Ange comme un enfant joueur, et c’est exactement ce qui convient à ce divin trublion [lire notre critique du CD et notre chronique du 2 août 2016].

Outre le colossal travail choral, assuré par les artistes des Opernchor des Staatstheaters Darmstadt, Darmstädter Kantorei et Rhein-Main Kammerchor, il faut féliciter la performance du Staatsorchester Darmstadt, et en particulier celle des ondistes (Caroline Ehret, Thomas Bloch et Jacques Tchamkerten) et des percussionnistes (Matthias Lachenmaier, Rumi Ogawa et Slavik Stakhov), très sollicités. La direction de Johannes Harneit s’emploie à la clarté, ce qui n’est pas facile avec une telle partition [lire notre chronique du 9 mai 2004].

HK