Chroniques

par gilles charlassier

Słowacką Orkiestrą Kameralna et Camerata Silesia
Bartók, Dvořák, Górecki, Janáček et Kupkovič par Ewald Danel

Festiwal Eufonie / Filharmonia Narodowa, Varsovie
- 26 novembre 2021
Anna Górecki joue le Concerto Op.40 de son père, dans sa version pour piano
© alicja szulc

La défense et la promotion de la musique d’Europe centrale et de l’Est autour de laquelle s’articule la programmation du Festiwal Eufonie de Varsovie [lire nos chroniques de la veille et de l’avant-veille] permet de (re)découvrir des répertoires moins connus, en particulier pour le mélomane de l’Ouest du continent. Donné par le Słowacką Orkiestrą Kameraln im. Bogdana Warchala (Orchestre de Chambre Slovaque Bohdan Warchal), avec l’appui des voix de la Camerata Silesia, sous la direction d’Ewald Danel, ce concert en donne l’illustration, et ce dès la pièce d’ouverture, une œuvre de jeunesse de Janáček, la Suite pour cordes écrite en 1877, qui porte l’empreinte d’un Smetana ou d’un Dvořák, entre autres, dans la tournure mélodique. En six mouvements – Moderato, Adagio, Andante con moto, Presto, Adagio et Andante – la partition, qui avait été rééditée en 1926 en gommant la référence, involontaire, au baroque dans les noms initiaux des mouvements, ne manque pas d’une relative séduction, dans laquelle cependant ne point guère la personnalité singulière du compositeur.

L’évolution du Slovaque Ladislav Kupkovič (1936-2016), parti de l’avant-garde pour revenir vers un langage consonant inspiré par les traditions de son pays, se révèle, par sa dynamique, similaire à celle de son contemporain Penderecki. Composée en 2009 et transcrite pour quatuor à cordes trois ans plus tard, la suite Cantica slovaca adapte quatre chansons populaires de la nation au cœur de la Mitteleuropa, et affirme un camaïeu de sentiments et d’évocations pittoresques d’une sincérité franche, allant de la mélancolie (Andante) au souvenir assoupi d’un rythme de danse dans (Allegro final), en passant par un Risoluto à la saveur magyare et par un Largo songeur.

Écrites d’abord pour piano en 1915, avant d’être orchestrées pour un effectif chambriste, les Six danses roumaines Sz.56 BB 68 de Bartók déploient un album de miniatures – Danse du bâton, Danse du châle, Sur place, Danse de Bucsum, Polka roumaine, Danse rapide – contrastées avec un sens consommé de l’évocation que les pupitres de l’Orchestre Bohdan Warchal ne se font pas faute de mettre en avant.

Dernière œuvre brève de la première partie du concert, le Concerto pour clavecin et orchestre à cordes Op.40 qu’Henryk Górecki composa en 1980, n’est pas dénué de références baroques, même si l’ostinato motorique soliste sur lequel s’articule la partition, tant dans l’Allegro molto que dans le Vivace marcatissimo, dépasse le pastiche. À rebours d’une véritable opposition concertante, les staccati solistes sont redoublés par les cordes, et ce maillage rythmique serré aux allures d’élan immobile ne perd aucunement de son relief dans la version pour piano que le Polonais réalisa dix ans plus tard, – celle retenue pour le présent concert, sous les doigts de sa fille, Anna Górecki, laquelle défend tout particulièrement l’œuvre de son père – l’interprétation du Concerto illustre la vitalité de l’engagement dans cette fidélité.

Après l’entracte, la Camerata Silesia, préparée par Anna Szostak, rejoint les musiciens slovaques emmenés par Ewald Danel, pour le cycle des Biblické písně Op.99 (Chants bibliques) écrit à partir d’une dizaine de Psaumes par Dvořák en 1894, pendant son séjour aux États-Unis. D’abord conçu pour mezzo et piano, l’ouvrage fut orchestré dès l’année suivante par le compositeur – pour les cinq premiers numéros, les cinq autres l’ayant été par le chef Vilém Zemánek, deux décennies plus tard. Il exprime une simplicité fervente et lumineuse, magnifiée par une belle transparence chorale – la candeur mélodique du dernier chant, Zpívejte Hospodinu píseň novou, annonce quelque peu l’Invocation à la lune deRusalka. Il referme une traversée de la relecture des traditions et folklores des confins du monde austro-hongrois par les Romantiques d’hier et d’aujourd’hui, à l’intérêt çà et là à la limite du documentaire, avec un engagement qui prend parfois le pas sur le raffinement, mais qui a le mérite de donner un éclairage sur des pages rarement jouées dans le reste de l’Europe. La soirée du vendredi se prolongeait sur une note plus contemporaine, au Klub Akwarium (à deux pas du Palais présidentiel), par la performance de Markus Popp alias Oval et Jacek Sienkiewicz, deux figures de la scène électro polonaise.

GC