Chroniques

par françois cavaillès

Royal Palace, opéra de Kurt Weill
Il tabarro | La houppelande, opéra de Giacomo Puccini

Opéra national de Montpellier / Comédie
- 14 juin 2016
à Montpellier, Marie-Ève Signeyrole met en scène Il tabarro de Puccini
© marc ginot

L'esprit chevaleresque a encore frappé ! Osons le petit jeu de mots en clin d’œil à sa directrice générale pour saluer justement l'audace, généreuse et épatante, de l'Opéra national de Montpellier qui, une nouvelle fois, propose une étonnante soirée lyrique par curieux couplage de deux opéras d'un acte chacun, à savoir Il tabarro, crime passionnel flamboyant extrait d’Il trittico de Puccini (1918), et Royal Palace, fantaisie onirique cinglante sur l'amour impossible d'une femme pressée par trois prétendants que Kurt Weill composait en 1927, enfin offerte en création française.

Deux formes courtes qui en disent long, grâce d'abord et surtout au talent de Rani Calderón, chef souvent applaudi sur nos colonnes [lire nos chroniques du 3 mai et du 31 mars 2016, du 6 février 2015 et du 22 février 2011, entre autres], et de l'Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon. La précision éclaire le public explorateur, lancé à la découverte d'œuvres modernes, conçues en réaction aux grandes traditions de l'opéra. Sans doute y a-t-il même des chemins de perdition dans ces deux drames confondants, tramés l'un par la poésie expérimentale d'Ivan Goll, l'autre par le livret empreint de vérisme de Giuseppe Adami, ainsi que dans les dérivations de la foisonnante mise en scène de Marie-Ève Signeyrole [lire nos chroniques de ses Cenerentola, Owen Wingrave et Eugène Onéguine]. L'effet d'ensemble, étrange, dérangeant et violent, est tel une série d'habiles ricochets sur l'eau – élément majeur des décors aussi inventifs qu'impressionnants, signés Fabien Teigné.

À l'origine, Royal Palace détourne le mythe de Déjanire, épouse d'Héraclès, qui, dans un grand hôtel en bord de lac, subit la cour assidue de trois hommes : le Mari, l'Amant d'hier et l'Amant de demain. L'intrigue théâtrale, le symbolisme très disproportionné du livret et la musique hétéroclite (souvent mélodieuse, et parfois fanfare déglinguée, jazz, tango, etc.) brocardent les convenances sociales de l'époque tout en creusant jusqu'au gouffre le malaise de l'héroïne.

Sous d'élégants habits contemporains (costumes signés Yashi), la production va plus loin encore et, derrière un malin générique projeté comme dans un vieux cinéma suivie de tintements de cloche et de chœurs spectraux, elle imagine l'absurde échange peu après l'écrasement d'un avion en pleine mer. De débris de carlingue entourés par les ondes démontées (belle création vidéo et mécanique), des survivants sont hélitreuillés tandis que Déjanire écarte les avances et confie son désenchantement. D'une voix magnifique, audacieuse et juste dans les aigus, le soprano Kelebogile Besong s'impose dans un don de soi saisissant à mesure que le personnage se métamorphose, dans le délire des promesses masculines (entre un numéro de claquettes inattendu et une série de rêves sous un ciel étoilé), pour finalement se perdre par noyade. Face à elle, Florian Cafiero (l'Amant de demain) est un plaisant ténor, surtout dans le registre sardonique, et la basse Kakhaber Shavidze entre bien dans la peau du méchant Mari [lire notre chronique du 3 février 2012].

En seconde partie, le lien dramatique entre Royal Palace et Il tabarro est sans doute bien pensé, mais il peut aussi échapper à l'entendement du spectateur fasciné par une production surchargée. Loin des péniches parisiennes indiquées par le livret, mais plus proche de la poissonnerie du port, au moment d’éviscérer quelques grosses prises, on retrouve notamment un prologue vidéo et, surtout, un décor spectaculaire (incluant une sorte de cabine de pilotage et de grandes parois transparentes telles celles d'une serre) qui tour à tour semble sophistiqué, abstrait, glacé et enfin inondé par un joli déluge d'hémoglobine. Dans cette peinture de la jalousie en quelques touches très vives, l'effet bouleversant des opéras de Puccini ne se rencontre que par bribes. Parmi les chanteurs, remarquons l'intensité déchirante du ténor Rudy Park, salué in loco en Calaf de Turandot [lire notre chronique du 11 février 2016], ici Luigi, le rival amoureux, et, dans le rôle de Michele (Mari assassin), la savante tension du baryton Ilya Silchukov (également interprète de l'Amant d'hier dans Royal Palace).

FC