Chroniques

par gilles charlassier

Roméo et Juliette
symphonie dramatique d’Hector Berlioz

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 15 avril 2018
Roméo et Juliette de Berlioz à Bastille dans la chorégraphie de Sasha Waltz
© ann ray | opéra national de paris

Berlioz créa des objets dramatiques singuliers, parfois rétifs à la mise en scène traditionnelle. Ainsi en est-il de La damnation de Faust, où plus d'un homme de théâtre s'est cassé les dents [lire nos chroniques du 4 juin 2017 et du 2 juin 2004]. Roméo et Juliette appartient à un genre que l'on se sent peut-être moins enclin à mettre sur des planches. Intitulée symphonie dramatique, la partition dilue, certes, les codes opératiques, et le livret privilégie l'évocation poétique. Pour autant, par la danse, l'Opéra national de Paris relevait en 2007 la gageure du spectacle, en passant commande d'une nouvelle production à Sasha Waltz, version reprise pour la deuxième fois depuis la création.

Dessinée par la chorégraphe elle-même, secondée de Thomas Schenk et Pia Maier-Schriever, la scénographie blanche – deux panneaux tantôt repliés, tantôt dépliés, d'une proue vers la fosse, à un mur inaccessible, en passant par le balcon – résume les lieux de l'action selon une abstraction narrative également assumée par les costumes de Bernd Skodzig, opposant en noir et blanc les deux familles rivales, dialectique que viennent à peine troubler les cotillons de la fête au cœur de laquelle les deux amants se reconnaissent, derrière les masques obligés. Réglées par David Finn, les lumières modèlent et caressent les atmosphères successives avec une sobriété indéniablement poétique.

Revendiquant un certain refus de la linéarité dramaturgique dans ses intentions consignées par la brochure de salle, la chorégraphie de Sasha Waltz ne trouble guère la lisibilité de l'intrigue [lire nos chroniques de ses Dido and Æneas, Passion, Medea, Sacre du printemps et Tannhäuser]. L'élégant vocabulaire gestuelle ne recherche pas d'innovation manifeste : on y reconnaît l'empreinte attendue de Pina Bausch, ou encore celle de Bronislava Nijinska dans plus d'un ensemble faisant songer aux Noces – têtes et bras épousant organiquement les courbes des groupes. Sans renoncer à la caractérisation décantée des situations et des figures secondaires, la dynamique expressive ne manque pas d'un consensuel efficace, à même de s'inscrire au répertoire.

D'une présence plus marquante que la Juliette délicate de Ludmila Pagliero, le Roméo de Germain Louvet met en valeur la fluidité élancée de l'incarnation qui lui est réservée, avec une indéniable énergie s'attachant à extérioriser le tourment qui l'agite, dans une extraversion éventuellement un rien excessive, encouragée par la maîtrise technique. À cette aune l’on retiendra le désespoir de l'amoureux, cherchant à surmonter la barrière de la séparation, après que l'on a fait boire un succédané de poison à Juliette, symbolisé par un écoulement noir granuleux sur le plan incliné. Associés en véritable doublure l'un de l'autre, le Père Laurence noble et vigoureux d'Alessio Carbone répond au solide Nicolas Cavallier, qui en imite quelques mouvements.

Si la basse française satisfait aux essentielles exigences d'articulation chantée, de même que la vive intervention ciselée d’Yann Beuron, Julie Boulianne privilégie la pâte et la couleur d'un mezzo qui a admirablement mûri, sans pour autant obérer tout à fait l'intelligibilité du texte. On n'en dira pas autant du Chœur, préparé par José Luis Basso, qui n'a visiblement guère fait de progrès dans l'opus berliozien depuis la dernière série de représentations (2012) : saluons la puissance plutôt qu'une mise en place çà et là presque brouillonne. Pour trouver une explication, doit-on se tourner vers la direction musicale de Vello Pähn, favorable, sinon servile, envers la danse ? Au risque de paraître premier degré, on attendrait volontiers de la fosse davantage de passion, une précision rythmique et mélodique plus acérée, qui feraient mieux vivre l'urgence dramatique des saveurs des pupitres.

GC