Chroniques

par gilles charlassier

rencontre inédite Daniel Hope
Marc Bouchkov, Sheku Kanneh-Mason, George Li et Lawrence Power

Thomas Adès, Frank Bridge, Rebecca Clarke, Edward Elgar et Niel Gow
Verbier Festival and Academy / Église
- 21 juillet 2019
Le Verbier Festival and Academy réunit le violoniste Daniel Hope et ses amis
© nicolas zonvi

Susciter des rencontres imprévues ou inédites, telle est l’une des ressources d’un festival dont Verbier, sur les cimes alpines suisses, ne se prive pas, au point d’en filer un cycle dont le premier rendez-vous est placé sous la houlette du violoniste Daniel Hope. L’habileté et l’instinct de programmateur de ce dernier s’exprime avec éloquence dans ce concert exhumant un répertoire rarement mis à l’honneur.

Avec le violoncelle de Sheku Kanneh-Mason et le piano de George Li, il défend un florilège de Miniatures de Frank Bridge (1879-1941) où se déploie une séduction mélodique évidente, dans une pulsation affective souvent alerte rappelant plus d’une fois Dvořák. Le généreux phrasé, au legato avisé et au diapason de l’inspiration romantique du recueil, ne verse jamais dans l’épaisseur. Sélection de danses reels écossaises collationnées et harmonisées pour violon et violoncelle par Niel Gow (1727-1807), Repository of the dance, est défendue par l’archet brillant et vigoureux de Daniel Hope, soutenu par l’accompagnement souple et animé de Kanneh-Mason. La dimension pittoresque et le canevas formel récurrent évitent cependant la monotonie. Sur les sept numéros, trois sont des jigs, prototype anglais de la gigue au XVIe siècle devenu par la suite populaire en Irlande et en Écosse : Humours of Dublin, Lady Douglas of Bothwell et The bride is a bonny thing. Allants et rustiques, ces morceaux contrastent avec des moments plus pastoraux – My wife’s a wanton, wee thing, et surtout Green sleeves – voire avec une ode funèbre, The fallen hero, dédiée au général Nelson. Le reel The marquis of Tullybardine referme le voyage sur une tonalité animée et débonnaire. La première partie de la soirée se conclut avec la Sonate pour violon et piano en mi mineur Op.82 (1918) d’Edward Elgar. La carrure de l’Allegro risoluto augural cède à un Andante palpitant d’une belle intensité intime où se distingue l’investissement nuancé de George Li, quand le final, Allegro non troppo, exalte une énergie dans laquelle se rejoignent, complémentaires, les deux solistes.

Après l’entracte, l’altiste Lawrence Power a traversé la station pour se joindre au duo sur la scène de l’église, après le Concerto dolce pour alto, orchestre à cordes et harpe (1997) de Chtchédrine (né en 1932), donné en ouverture du concert du Verbier Festival Chamber Orchestra, dirigé par Gábor Takács-Nagy à la salle des Combins. Pas davantage avant-gardiste que l’opus du Russe, Dumka pour violon, alto et piano (1941) de Rebecca Clarke (1886-1976) témoigne d’un savoir-faire aux saveurs restituées avec conviction par le trio, porté par un canevas rythmique, authentique mais non pastiche. Commande du festival, les Trois berceuses pour alto et piano de Thomas Adès (né en 1971) sont une sorte de suite tirée de son opéra The exterminating angel (2016). Parfois souffles frêles tutoyant le silence et qui maintiennent en haleine l’auditeur, les ondulations harmoniques s’aventurent dans les confins de la facture instrumentale de l’alto, sans confondre exploration de l’inouï et aridité expérimentale. À l’image du corpus du compositeur britannique, le triptyque chambriste offre une synthèse originale entre modernité et un relatif classicisme formel, au service d’une expressivité inspirée et délicate qui se décante dans un subtil alambic acoustique. Décliné jusqu’alors en géométries variables, le quatuor se réunit, complété par le violoniste Marc Bouchkov pour le Quintette pour piano et cordes en la mineur Op.84 (1919) d’Edward Elgar. En trois mouvements (Moderato, Adagio etAndante), cette page rare, robuste et exigeante affirme une puissance face à laquelle le plateau ne se défile pas. Elle clôt un panorama réhabilitant la production musicale de la Grande-Bretagne à la fin de la Grande Guerre.

GC