Chroniques

par michel slama

Renée Fleming chante Samuel Barber et Franz Schubert
Orchestre de Paris, sous la direction de Jaap Van Zweden

Philharmonie, Paris
- 14 février 2019
Schubert et Barber par Renée Fleming, avec l'Orchestre de Paris
© andrew eccles

Ombre et lumière est le titre donné au concert de Renée Fleming et de l’Orchestre de Paris dirigé par le violoniste et chef Jaap Van Zweden, en cette Saint Valentin. En mai 2017, la diva étasunienne décidait de mettre un terme à sa carrière scénique par un somptueux point d’orgue, un Rosenkavalier d’anthologie au Metropolitan Opera de New York. Mais, fort heureusement pour ses adorateurs, elle n’a pas pour autant renoncé à ses apparitions en récital [lire nos chroniques des 10 octobre et 20 mai 2017]. Si l’on en croit les réseaux sociaux, elle se réjouit du bonheur de se retrouver à Paris, ville qu’elle aime particulièrement, dans le cadre privilégié de la Philharmonie où elle n’avait encore jamais chanté.

Un programme très original a été concocté pour elle. Avec Knoxville:Summer of 1915 Op.24 de Samuel Barber, c’est Fleming qui ouvre ce concert avec la grâce de sa voix melliflue qui n’a pas pris une ride et convient si bien à cette œuvre. En 1947, à la demande d’Eleanor Steber, une des plus brillantes cantatrices de son temps, Barber compose, pour son égérie et sa muse, une musique lyrique et nostalgique, mais angoissée, qui collait à son histoire personnelle. Le poème en prose qui servit de texte à la rhapsodie lyrique de Barber décrit « une soirée paisible dans une petite ville paisible » et allait devenir, plus tard, le prologue du roman autobiographique de James Agee, A death in the family (1948, publié en 1957). L’œuvre fut créée en 1948 par sa commanditaire, avec le grand Serge Koussevitzky au pupitre du Boston Symphony Orchestra. Knoxville fut repris par de nombreuses chanteuses anglo-saxonnes, dont Leontyne Price [elle fêtait ses quatre-vingt-douze ans il y a quatre jours – ndr] qui le considérait comme une parfaite expression de ses racines – « tout le Sud y est ».

Renée Fleming est idéale dans le climax contrasté qui compose cette middle America sudiste de l’immédiate après-guerre. Plus chaude et plus suave que celle de Steber, sa voix emporte dans un tourbillon de tendresse et d’anxiété. On pense souvent à Edward Hopper et à sa production des années quarante, particulièrement prolifique. Sous la baguette de Jaap Van Zweden, l’Orchestre de Paris accompagne avec un soin particulier les volutes de cet instrument envoûtant, mais tend à le couvrir parfois. La soprano triomphe sans difficulté et convainc une salle sous son charme, sa présence et les sortilèges de son chant.

La Sinfonia da Requiem Op.20 (1940) de Benjamin Britten fut initialement conçue comme un hymne à l’Empire du Soleil Levant, par un jeune pacifiste de vingt-six ans qui livrait une œuvre tragique et sombre, aux antipodes des demandes de ses commanditaires. Britten en tira un Requiem symphonique sans solistes en trois mouvements : Lacrymosa, Dies Irae et Requiem æternam. Cette partition particulièrement forte préfigure le War Requiem Op.66 créé en 1961. Tout le talent du chef néerlandais est mis en œuvre pour magnifier un opus que la formation parisienne joua déjà sous la houlette de James Conlon, de Paavo Järvi et de David Zinman. Le résultat est époustouflant et la réussite flagrante.

Retour de Renée Fleming pour trois Lieder de Schubert, parmi les plus fameux orchestrés par Max Reger (Nacht und Träume D827 et Gretchen am Spinnrade D118) et Britten (Die Forelle D550). La cantatrice, qui les interpréta sous la baguette du regretté Claudio Abbado, apparaît très à l’aise dans un répertoire qu’elle a relativement peu fréquenté. Les pages adaptées par Reger sonnent un peu comme des Lieder de Richard Strauss. Ainsi, très extatique, Nacht und Träume fait-il penser à SeptemberDie Forelle, astucieusement arrangé par le Britannique, donne une touche d’espièglerie qui ne va pas sans quelques minauderies de la diva. Le public est en délire, mais reste sur sa faim : Renée ne donne pas de bis. Cette petite demi-heure passée avec elle est un peu frustrante.

En seconde partie, la Symphonie en ut mineur Op.67 n°5 de Ludwig van Beethoven est magistralement interprétée par un Orchestre de Paris en état de grâce. Le rythme est vif, les tempi rapides et la battue énergique. Jaap van Zweden, qui débuta sa carrière comme premier violon du Koninklijk Concertgebouworkest, paraît effectuer une synthèse idéale entre le romantisme de Bernard Haitink et la révolution baroque de Nikolaus Harnoncourt, tous deux fréquentant régulièrement le corpus symphonique beethovénien, au concert et au disque. Chacun des mouvements fait l’objet d’un projet inspiré et passionnant du chef, visiblement consenti par les instrumentistes de l’Orchestre de Paris. Le timbalier, tant sollicité par cette partition, semble particulièrement radieux.

MS