Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Claire Désert
œuvres de Beethoven et Moussorgski

Serres d'Auteuil, Paris
- 26 août 2007
le compositeur Modest Moussorgski peint par Ilya Répine
© galerie tretiakov | moussorgski par ilya repin

Depuis vendredi, les rendez-vous de dix-neuf heures ont repris, au jardin des serres. Durant trois week-ends, le public pourra donc à nouveau écouter de la musique dans ce cadre charmant. Prévenue le jour même, Claire Désert remplace aujourd’hui le pianiste initialement programmé, malencontreusement souffrant. Du coup, le récital déroge à la règle du festival en ce qu’il ne présentera pas de pièce contemporaine – moindre mal, le principal demeurant qu’il ait bien lieu, ce dont, dès les premières mesures d’une Tempête qui en impose, on ne saurait douter.

Claire Désert entre immédiatement dans le Largo introductif de la Sonate en ré mineur Op.31 n°2 qu’elle livre dans une grave tenue, affirmant des contrastes cinglants dans la seconde partie du mouvement. Le chant de l’Adagio se trouve calmement porté, retardant toute éclosion dans une articulation de la pensée qui semble différée. Moelleuse, la sonorité choisie n’en est pas moins hyper définie, la pianiste domptant avec efficacité l’acoustique particulière du lieu. L’Allegretto est amorcé dans une retenue déjà schubertienne bientôt contrariée par des brusqueries altières. L’on appelle cette œuvre La Tempête selon un mot prêté à Beethoven indiquant la pièce de Shakespeare, mais ici, inutile d’en chercher le théâtre : c’est un bouleversement intérieur que distille l’interprétation, un « coup de gueule » climatique métaphorisé, une crise qui, pour s’éloigner, n’en finit jamais. Circonscrite dans une esthétique Sturm und Drang qui en lisse le souffle, a-t-elle seulement eut lieu ? Présente et impalpable, l’attaque de ce soir est angoissante parce qu’invisible, puissante aura epileptica dont les clignements et palpitations signalent le possible déferlement.

Pour regarder vers le passé, Claire Désert s’en tient à ces anciens qui, en leur temps, étaient des modernes. Au printemps 1874, Moussorgski s’inspire de dix œuvres de son ami peintre Victor Hartmann et signe ses Tableaux d’une exposition au fil lesquels il fait voyager l’écoute par le biais d’une Promenade récurrente. Dès l’abord, la musicienne convainc par la diversité et la qualité de couleurs que son jeu a dûment registrées. L’absurdité d’une volonté d’orchestration concrète – rien moins que vingt-cinq adaptations, à ma connaissance, et j’en oublie peut-être ! – saute alors aux oreilles. De fait, la version ici entendue rejoint clairement les mots de Claude Helffer : « le piano est traité orchestralement et néanmoins de façon dépouillée, ce qui fait ressortir la saveur âpre de certains agrégats » ; on ne saurait dire mieux. Gnomus se fait ici griffant, Il vecchio castello contemple ses ruines en ruinant sa propre forme, et ainsi de suite jusqu’aux caractères enlacés de La grande porte de Kiev, idéalement complémentaires.

BB