Chroniques

par david verdier

récital Yann Beuron
un hommage à Guillaume Apollinaire

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 17 octobre 2013
le ténor Yann Beuron rend hommahe au poète Guillaume Apollinaire
© dr | apollinaire par cocteau

Pour son premier rendez-vous de l'année, la si bien nommée série Convergences de l'Opéra national de Paris propose une rencontre musicale autour de Guillaume Apollinaire. La sélection de textes, alternativement lus et chantés par le ténor Yann Beuron et l'acteur Stéphane Varupenne, sert de panorama poétique à géométrie variable. On navigue dans ces mélodies avec le piano affectueux et vivace de Sophie Raynaud, compagnon de route dans des œuvres de Francis Poulenc et plus discrètement d'Arthur Honegger. Le disparate Léo Ferré passe parfois la tête et s'invite dans ce florilège.

On perçoit dans ce programme la volonté de dessiner à main levée un portrait d'Apollinaire ; musicalement parlant, la chose est plutôt rare et l'on peut s'étonner du peu d'intérêt relatif que ses poèmes ont recueilli auprès des compositeurs. Souvent cité pour la concision de ses images et son inventivité visuelle (Calligrammes), Apollinaire trouve en Poulenc un auteur de prédilection. Sa musique ne prétend pas se substituer au texte mais faire naître de ce terreau fertile une dimension sonore qui en conserve toute la simplicité.

On passera poliment sur la fausse bonne idée consistant à faire entendre la célèbre archive sonore du poète lisant lui-même son Pont Mirabeau. Les intonations ampoulées déforment le poème, au point de le rendre inaccessible à nos oreilles contemporaines. Dans une autre mesure, on ne pourra que regretter la « léoferrisation » de ce pauvre Pont Mirabeau ou la gouaille hors d'âge de Marzibill. Dans un cas comme dans l'autre, le texte est victime d'un style de récitation chantée devenu totalement obsolète. Stéphane Varupenne est bien meilleur quand il revient à une diction simple, sans affectation ni lourdeur imagière (Désir, Poèmes à Lou ou l'incipit de Zone).

Les meilleurs moments de la soirée sont à chercher dans la voix très libre et exaltée de Yann Beuron. Exaltation lyrique dans Fagnes de Wallonie ou fiévreuse et intime dans Voyage à Paris, avec toute l'étendue de ce clavier délicieux en arrière-fond… L'émission ne flirte jamais avec une tendance mortifère à nasaliser dès lors qu'on s'attaque à la mélodie française. Cette concentration du timbre dans le registre intermédiaire fait merveille dans la suspension et le sur-place de Sanglots ou Montparnasse, chefs-d’œuvre littéraires que Poulenc ne cherche jamais à contorsionner pour les faire entrer dans un cadre musical trop rigide. Les vers gardent leur forme en arc qui ne libère le vibrato qu'en fin de phrase, sans perturber l'intelligibilité. Le déploiement de la voix ne néglige pas l'alternance des atmosphères, comme si la mélodie regardait du côté de la lecture pour conserver le sens et les images. Dans le jardin d'Anna y gagne en désinvolture ce côté « collage » surréaliste que Yann Beuron sait rendre avec une belle acuité dans la superposition des monologues.

L'incursion dans les poèmes français de Rilke (extraits des Quatrains Valaisans) mis en musique par Samuel Barber rappelle combien il est difficile de musicaliser une versification non idiomatique. Les maladresses sont d'autant plus sensibles que ces pièces s'insèrent au milieu d'un programme largement dévoué à un Poulenc au métier sûr. La version de Darius Milhaud aurait sans doute permis de conserver l'unité du programme, sans dériver en direction de Rilke et la problématique de l'écriture dans les Lettres à un jeune poète… L'écriture mélodique du compositeur américain présente une curieuse tendance à étirer les voyelles, obligeant la phrase à boire la tasse quand la respiration ne rencontre pas les accents toniques (Le clocher qui chante). La sollicitation des aigus laisse affleurer dans la voix des zones plus claires, à l'exception notable de Tombeau dans un parc, sans doute le texte le mieux adapté par Barber.

À s'écarter de la poésie d'Apollinaire, le choix de Louis Aragon semblera encore le plus cohérent – grâce en partie aux éléments de la biographie amoureuse des deux auteurs, Les yeux d'Elsa offrant une belle alternance aux Poèmes à Lou.

Le récital se ferme sur l'échappée fugace et fantasque de Fêtes galantes, un bis frais à la naïveté irrésistible d'une toile de Dufy, dernière occasion pour saluer la fluidité idéale et colorée du clavier de Sophie Raynaud.

DV