Chroniques

par gilles charlassier

récital Wilhem Latchoumia
un bal russe

Opéra Comique, Paris
- 29 janvier 2011
Le pianiste Wilhem Latchoumia
© dr

L’Opéra Comique camoufle parfois dans les replis de sa programmation lyrique – en l’occurrence Les Fiançailles au couvent de Prokofiev importées de Toulouse [lire notre chronique du 11 janvier 2011] – des concerts à l’audience presque confidentielle, à en juger le remplissage de la salle Favart, ce soir. Mais la raison de la jauge n’est pas toujours la meilleure et le récital donné par Wilhem Latchoumia en donne un exemple presque jurisprudentiel.

Le pianiste français a composé un programme qui tourne autour des transcriptions pour piano de pages du ballet Cendrillon, contemporain de l’opéra présenté en ces murs. Dans ce bal russe – tel est le titre de la soirée –, les tercets ou quatrains de fééries digitales de Prokofiev invitent sur la piste un partenaire imaginaire, timide ou excentrique.

Ce sont les quatre fées, du Printemps, de l’Eté, de l’Automne et de l’Hiver, venues des Dix Pièces pour piano Op.97, qui ouvrent la danse. Les créatures des équinoxes se font enjouées tandis que leurs sœurs des solstices se montrent plus extatiques. Chacune est secondée par le toucher aérien du musicien, lequel octroie de bien sympathiques perlés à sa main droite. La Caixinha de musica quabrada (petite boîte à musique cassée), pièce composée par Villa-Lobos en 1931, répond sans attendre à l’invitation de sa cadette russe. Entre deux mouvements vifs, elle fait entendre le doux pépiement de son carillon étincelant.

Sauterelles et Libellules, Orientale, Passe-pied et Capriccio se suivent, tous sortis de la même pandore qu’est l’Opus 97. Chacun déploie ses séductions les plus diverses, mais la partenaire lunaire de ce quatrain, une page de Gérard Pesson pour la main gauche seule, O Hand for Orlando !, extrait de Musica Ficta, demeure dans une interrogative introspection. La demoiselle – ou la dame, peut-être – lance des regards furtifs, fuyants, dans une harmonie fragmentaire, réduite à un lent balancement entre une basse et une ébauche mélodique à l’aigu, enveloppée dans des sonorités amorties, presque cotonneuses.

Prokofiev revient avec une Gavotte (allegretto syncopé), extrait des Trois pièces Op.95, suivie par une Bourrée et un Adagio choisis dans l’Opus 97. Le mouvement lent est un pas de deux aux accents délicats et lyriques, aux lumières bleutées de l’amour à quatre jambes et portés langoureux. Latchoumia s’efface ensuite quelques instants en coulisses, pour ramener un piano miniature sur lequel il joue une pièce de Stephen Montague, Almost a Lullaby (presque une berceuse) écrite pour piano-jouet, boîte à musique et carillon à vent. La simplicité de la partition, créée en 2004, distille de lumineux et émouvants échos d’une innocence enfantine semblables à un paradis perdu. Une discrète mélancolie caresse la mélodie naïve, jusqu’à l’effacement du souvenir. Le spectateur sort de ce voyage inattendu avec quelques nœuds dans la gorge.

Viennent ensuite, en provenance des Six Pièces Op.102, Cendrillon et le Prince, valse allegretto très visuelle, la Variation de Cendrillon (allegro grazioso) et la Dispute (moderato, allegro irato), où se mêlent des rythmes syncopés qui rappellent irrésistiblement le jazz et un humour qui trouve en l’interprète de ce soir un complice idéal. Dans La lumière n’a pas de bras pour nous porter pour piano amplifié de Gérard Pesson, les esquisses mélodiques alternent avec des effleurements des mains sur les touches du piano, produisant des sonorités étranges et inouïes, percussives et délicates à la fois, outre-pianistiques. Ces balades d’elfes et de fées digitales sur la blanche dentition de l’instrument se font peu à peu plus matérielles avant de s’enfuir vers l’autre côté du silence.

Le dernier couple à s’avancer associe les trois autres pièces de l’Opus 102 de Prokofiev – Cendrillon au bal (valse, allegro expressivo),Pas de châle (allegretto) etAmoroso (moderato dolce) – et Fairy Bells, extrait de l’Irish Suite d’Henry Cowell. C’est une partition qui fait subir au piano des traitements moins traditionnels, tels le pincement des cordes, qui lui donnent des sonorités orientales, de luth baroque ou de clavecin. Cette étrangeté n’a rien d’avant-garde. La dernière partenaire, si elle prend des libertés, n’en reste pas moins une créature merveilleuse à l’instar de celles qui l’ont précédé.

Pour conclure ce récital, Wilhem Latchoumia joue une valse mélancolique, aux accents schubertiens et chopiniens, d’Ignacio Cervantes, compositeur cubain que Liszt croisa à Paris. Le dernier salut se fera au piano-jouet, avec une page de Philippe Regana.

GC