Chroniques

par marc develey

récital Till Fellner
Mozart, Schubert et Bach

Salle Gaveau, Paris
- 24 février 2006
Gabriela Brandenstein photographie le pianiste Till Fellner
© gabriela brandenstein

Till Fellner ouvre un concert en partie consacré à Schubert par un onctueux Adagio en si mineur KV 540 de Wolfgang Amadeus Mozart, laissant entendre une filiation entre les deux Viennois. Largement ordonnée à un savant portamento et soutenue par une grande maîtrise des nuances, l'interprétation rend ce que le second doit au premier dans sa façon de laisser glisser le chant sur l'ostinato des arpèges. Que le jeu se teinte de quelque préciosité, non sans un certain charme mais au détriment parfois de la présence, n’affadit pas un ensemble qui, sur la longueur, témoigne de l'unité d'une intention contemplative peut-être insuffisamment affirmée encore, mais déjà subtilement audible.

À cette entrée succèdent deux sonates de Franz Schubert, en ut mineur D958 (n°21) et en si bémol majeur D960 (n°23). La première s'ouvre sur des accents d'une belle violence, beethovenienne par instant, aidée en cela par une articulation ferme sur les piqués, et servie par une main gauche fort sûre. Si le rubato en diminue l'énergie, il se montre cependant des plus intéressants dans les passages articulés semi recitativo. Les aigus du Steinway, souvent trop claquants à notre goût, se sont équilibrés par un portamento soutenu d'une pédale souple. Exemples parmi bien d'autres, les gammes descendantes du pont entre développement et retour du premier thème témoignent de l'exigence d'un pianiste attentif à chaque séquence de l'œuvre, fût-ce la plus apparemment insignifiante des transitions.

Dans l'Adagio, somptueux de lenteur et d'équilibre, la respiration du chant se fait large et la main gauche particulièrement expressive, que ce soit dans les legati de l'ostinato ou le porté-piqué soutenant les variations du thème. La mobilité des humeurs est restituée avec une maturité confondante – une fois seulement l'intention se perd dans la violence d'un fortissimo. À un Menuetto presque chantonné, d'un style quasi parlé dans la reprise (semi recitativo), et à l'étonnant phrasé sur les écroulements de la mélodie, succède le mouvement final, Allegro haletant, traversé de hoquets et habité d'une grande maîtrise du tempo qui jamais ne succombe à un accelerando que la facilité appellerait mais dont pâtirait l'intensité dramatique. Le son se tient sans mignardise à la limite de sonorités perlées, sans pourtant s'y laisser entraîner, préservant ainsi sa dynamique.

Au final, un Schubert certes moins sobre qu'on en a l'habitude, mais passionnant de nouveauté, de justesse dans l'expression et de droiture dans l'invention.

Nous n'en dirons pas autant de la Sonate en si bémol majeur D960.
Tout en restant d'une excellente tenue, son exécution a quelque chose d'entendu, sinon de convenu. Le premier mouvement, certes noté Molto moderato, ne gagne rien à être pris andantino, sauf à faire montre d'une réelle présence jusque dans la production de la note. Dans le cas contraire, le pianiste s'expose soit à une accélération du rythme lors des reprises, soit à un engluement du chant dans un phrasé qui se fait peu à peu collant. À ne véritablement tomber dans aucun de ces défauts, Till Fellner flirte néanmoins avec eux. L'ample respiration de ses phrases ne parvient pourtant pas à imposer une dynamique forte à ce mouvement – même sa main gauche, si appréciée dans la sonate précédente, ne réussit à faire sonner que partiellement les roulements de basses

L'Andante sostenuto, si caractéristique de cette sonate, donne lieu à une page plus gentiment triste que réellement désolée. Subtile et restituant la musicalité de la partition, l'articulation n’évoque cependant plus qu'un chagrin passager et, en s'achevant sur un beau climat d'après la pluie, n’offre rien de plus qu'une anecdote. L'Allegro vivace con delicatezza s’avère d'une plus juste tenue : sans trop de hâte, le rythme sautillant fait sonner une danse légère, néanmoins brouillée par un trio à la fois plus flou dans les syncopes et un peu trop marqué dans le grave. L'Allegro ma non troppo conclut sur un son clair et dans un esprit proche de celui de la D948 : intelligence des transitions, maîtrise de la main gauche, et toujours une pensée abordant l'œuvre à la fois par vastes séquences et attention aux détails. Certains passages un peu trop martelés confirment pourtant l'impression que nous avions d'une sonate dont l'équilibre est difficile à trouver.

Qu'on ne s'y trompe pas : le piano de Till Fellner demeure de haute tenue, et s'il est en devenir (ce qu'on ne peut que lui souhaiter), on peut augurer qu'il saura trouver son excellence et l'intelligence qui l'accompagne. En témoigne le bis emprunté à Bach. D'un son entre ceux de Fischer et Tharaud, d'une religiosité moindre que le premier mais plus lumineuse que le second, servi par un legato d'une élégance rare et une pédale au service d'un son de flûte plus que d'orgue, il crée une atmosphère d'un subtil recueillement dont la charge affective nous vient en écho jusqu'à ce jour.

MD