Chroniques

par cécil ameil

récital Shadi Torbey

Midis en musique / Université catholique, Louvain
- 8 mars 2005

Troisième lauréat du Concours Reine Elisabeth 2004, la ténébreuse basse belge Shadi Torbey se produit à l'occasion de ces sympathiques concerts de milieu de journée organisés par la branche bruxelloise de l'Université catholique de Louvain. Le programme est entièrement consacré à la mélodie française du XIXe siècle, le jeune chanteur s'y trouvant accompagné au piano par le chef d'orchestre et compositeur David Miller.

Shadi Torbey a une grande et belle voix et un physique avantageux qui lui confèrent une présence indéniable sur scène. Très sûr de lui, il fait résonner ses atouts avec une rondeur et une clarté qui flattent l'oreille. Il possède une aptitude indéniable à jouer sur l’attitude autant que sur l’organe : le regard et le sourire omniprésents, le corps en extension pour mieux embrasser l'amphithéâtre comble, la voix très régulière et stable, tout concourt à séduire autant qu'à se laisser séduire. Le pianiste, en contraste, paraît assez absent, bien que produisant un accompagnement impeccable.

Cette attitude très extravertie appelle-t-elle des réserves ?
Entamant le programme avec quatre mélodies de Charles Gounod, dont texte et musique sont empreints d'une grande fraîcheur, le chanteur offre certes une bonne diction, mais encore des intentions trop peu claires. Le premier jour de mai de Jean Passerat ou Les deux pigeons de La Fontaine sont rendus avec la même régularité, mais sans réelle saveur (sinon celle d'entendre une belle voix) et, surtout, sans intériorité, dans des élans démonstratifs inopportuns pour ce genre de musique. L'interprétation de Ma belle rebelle et Medjé est, en revanche, plus convaincante, même si toujours exagérée, insistant franchement sur les regrets et le chagrin qu'inspire le texte.

Dans Camille Saint-Saëns, la dimension lyrique de la musique est mise en avant, et le texte devient moins compréhensible. L'impression domine que le Shadi Torbey cherche à faire du bel canto et manque de simplicité. La brise et Tournoiement n'ont pas la légèreté attendue. Il devient aussi patent que la partie la plus grave de la voix, bien que timbrée, n'est pas suffisamment conduite en contraste avec le registre baryton, plus soutenu. Nul doute que cela évoluera avec le temps : un tel matériel demande de nombreuses années de maturité. La chanson à boire du vieux temps convient mieux au style de l’artiste qui, comme il se doit, cabotine.

Il aura fallu attendre Elle dort, romance du recueil Le Dilettante, pour entendre (et voir) que cette personnalité s'épanouit dans le chant théâtral. Sur scène, Shadi Torbey a déjà incarné plusieurs rôles, et il semble qu'il trouve là son compte : paradoxalement, en incarnant un personnage sans détour, la voix (avec un beau vibrato) et les gestes deviennent moins affectés. On est captivé. Par opposition, la deuxième romance du même recueil, Le batelier du Nil, plus mélodique, redonne à entendre un bel canto à la diction assez molle.

Le reste du récital confirme ces tendances, mais avec quelques surprises. Dans Le Maure jaloux d’Hector Berlioz, la gestuelle y est, la voix est incontestablement bien projetée, notamment dans le registre haut, mais l'incarnation du personnage manque de caractère : où sont la colère et la jalousie ? L’À Cassandre de Théodore Gouvy trahit la même faiblesse : le visage figé, le chanteur ne dépeint pas clairement le caractère déterminé du poème de Ronsard. Avec quatre pièces de Reynaldo Hahn, Shadi Torbey se montre plus à l'aise. Tour à tour simple et outré, il démontre une aptitude indéniable à changer de registre, et son À Chloris est fort émouvant.

Finalement, Sultan Mahmoud et Le Tchibouk de Félicien David seront les moments les plus réussis. L'incarnation semble plus authentique, la voix mieux conduite, la diction plus nette, malgré des postures (cherchant appui sur le piano ou bien fortement cambré) assez tapageuses. La fatigue commence à se faire sentir par quelques faiblesses dans la voix, ce qui n’empêche pas l’interprète de gratifier le public d'un rappel très cabotin avec le chant populaire Le roi fait battre tambour.

CA