Chroniques

par cecil ameil

récital Sergio Tiempo
œuvres de Chopin, Ginastera, Haydn, Liszt et Ravel

KlaraFestival / Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 5 septembre 2008
le jeune pianiste argentin Sergio Tiempo
© sussie ahlburg

Par un jeu virtuose et très impétueux qu'il a conforté durant toutes ses années de scène internationale, l'Argentin Sergio Tiempo s'est taillé un nom au clavier. Pour le KlaraFestival, qui encadre ce récital, l'intention est vraisemblablement d'utiliser cette fulgurance dans un programme exigeant mais ouvert au public le plus large possible, en ce début du mois de septembre également propice au lancement de la saison musicale 2008-2009 du BOZAR [sigle sous lequel le Palais des Beaux-arts de Bruxelles signale désormais sa programmation – ndr]. Il en est résulté une combinaison d'œuvres peu originale – à part peut-être les Danzas Argentinas d'Alberto Ginastera – mais séduisante, avec notamment la Troisième Sonate de Chopin, Gaspard de la nuit de Ravel et une Méphisto-Valse de Liszt.

En ce début de concert entamé par une Sonate de Haydn bien connue (n°33 Hob. XVI), la puissance de jeu du pianiste s’avère particulièrement frappante, nourrie par une stupéfiante souplesse du corps : on est impressionné par tant de présence, à la fois physique et sonore. Il n'est pas fréquent qu'un piano emplisse à ce point la grande salle Henry Le Bœuf, et l'on pense à certains interprètes russes comme Grigori Sokolov (le martèlement en moins).

Sergio Tiempo possède un jeu rapide et ample. La palette sonore est si large que les graves de l'instrument prennent une place inhabituelle, et le jeu suffisamment délié pour distinctement faire entendre sous ses doigts la nuance de chaque note. Dans Haydn, le résultat est éloquent, sur un mode déclaratif et primesautier qui convient bien au compositeur allemand. Aucun excès dans cette interprétation, mais une belle ferveur, empreinte d'une musicalité chaude et ronde des plus séduisantes.

La Sonate en si mineur Op.58 n°3 de Chopin, compositeur de prédilection du pianiste, se révèlera enlevée dans la même veine, le panache en sus. Le jeu devient plus puissant encore, avec force graves – au point que les registres médiums et aigus paraitront presque un peu éteints. Malgré des enchaînements sous la main gauche parfois floues dans le deuxième mouvement, l'on se sent conquit par tant de fougue et de brio.

La seconde partie de la soirée laisse sur une impression plus contrastée. D'abord avec Ravel, que Sergio Tiempo joue sur le même ton « déclaratif », ce qui constitue une approche légitime mais assez limitative. Gaspard de la nuit se prête à de multiples nuances de colorations et de rythmes qu'on se trouve bien en peine de ne pouvoir entendre ici. Plus étonnante s’affirme la brutalité avec laquelle les deuxième et troisième mouvements (Gibet et Scarbo) sont donnés, très rapides (trop ?...), avec des graves décidément envahissants, voire franchement ampoulés, des attaques souvent précipitées et un son parfois indistinct dans les passages rapides.

L'interprétation des pièces d'Alberto Ginastera nous laisse la même impression de démonstration effrénée, de nuances forcées et d'une certaine imprécision dans le jeu qui contredit négativement le début du concert. Avant d'attaquer le morceau de choix, la Consolation n°3 de Liszt rappelle néanmoins que l'Argentin sait également distiller un jeu recueilli. À l'inverse, la Mephisto Waltz conforte dans le sentiment que l'objectif ultime du concert demeure d'impressionner l'auditoire par une prestation où technique et musicalité font difficilement bon ménage.

La technique n'est évidemment pas en cause. Il s'agit d'interprétation et, peut-être simplement, du choix esthétique d'un soir. Certes, les partitions de Liszt sont très difficiles à exécuter et se prêtent de ce fait volontiers à un rendu brillant et démonstratif. Les Études d'exécution transcendante, sous les doigts de Boris Berezovsky, par exemple, ont pourtant prouvé qu'on pouvait insuffler à ce type de musique une inspiration puissante sans débordement excessif, en la servant servie par un jeu de plus précis. Comme dans le Gaspard de Ravel (où l'on pouvait poursuivre la comparaison avec la sensibilité et la précision de jeu d'Anna Vinnitskaäa), la langue de Liszt ne justifie pas qu’on brutalise le clavier, à la recherche d’effets saturés d’une pédale omniprésente. On ne peut s'empêcher de penser aux débordements de type Lang Lang qui font rimer piano avec « variété ».

Les bis surviennent alors comme pour nous promettre que le pianiste donne sans doute le meilleur de lui-même hors des conditions de programme les plus contraignantes. Après un fort beau tango d'Astor Piazzolla, un Moment musical de Schubert, revu dans une rythmique déroutante par Leopold Godowsky, puis un Nocturne de Chopin redonnent la mesure des qualités généreuses de Sergio Tiempo, sans qu’il déplaise pour autant à un public qui se montre enthousiaste de bout en bout.

CA