Chroniques

par cecil ameil

récital Roberto Giordano
œuvres de Balakirev, Borodine et Brahms

Auditorium Pierre Lacroix, Bruxelles
- 17 février 2004
le compositeur Alexandre Borodine (1833-1887) peint par Ilia Répine
© dr | borodine par ilia répine

Le pianiste Roberto Giordano s'est fait récemment remarquer en Belgique par une quatrième place au Concours Reine Élisabeth (l’an dernier). Les critiques avaient alors retenu le son rond et chantant de son jeu, servi par une technique minutieuse et sans faille. À moins de vingt-trois ans, ce produit de l'école d'Imola (Italie) s'est déjà produit sans de nombreuses salles à travers l'Europe et va bientôt poursuivre sa carrière en Chine et en Amérique latine.

Le programme de ce récital organisé par l'Université catholique de Louvain (UCL) à Bruxelles, dans le grand Auditorium Pierre Lacroix habité par un demi-queue Fazioli, comprend les Ballades Op.10 de Brahms, trois pièces de Borodine et deux pages de Balakirev, auxquelles l’Italien ajoutera en bis une mélodie de Schubert adaptée par Liszt. Dans l'interview réalisée par l'organisatrice du concert, publiée dans la brochure de salle, Giordano donne certains points de vue intéressants sur la préparation des concours, l'importance d'enregistrer en public et la distinction entre pianiste (technique) et musicien (interprétation).

Dans cette même interview, Giordano insiste sur l'intérêt qu'il porte aux Ballades de Brahms dont il est tombé amoureux. De fait, la première est interprétée avec une belle présence, riche en harmoniques (en particulier dans le médium) et à un rythme allant ; le son est à la fois chantant et plein. On n'avait pas gardé le souvenir d'une telle rondeur en assistant à un concert sur le même piano, il y a un an. Pourtant, dès la Ballade en ré majeur Op.10 n°2, séquencée en cinq mouvements, le pianiste se met à enjoliver le son et fait ressortir des couleurs et des contrastes inhabituels dans ce type de morceaux, jouant également sur les rythmes avec soudaineté (ralentissements intempestifs). En ressort une impression de curieux manque de continuité dans l'intention. La troisième et, surtout, la quatrième Ballade confirment cette écoute : en dépit de belles attaques et d'un son soigné, Roberto Giordano brode à ce point qu’il friser le maniérisme là où le compositeur ne lui en demanderait sans doute pas tant. La dernière Ballade, qui se déploie obstinément sur un même thème, s'étire en longueur sans tension dramatique.

C'est un peu dans le même état d'esprit que l’artiste aborde Borodine. Au monastère – ouverture de la Petite suite de 1870 – est conduit avec légèreté et lenteur d'abord, puis avec un certain panache avant une conclusion plus suggestive. C'est joli, mais peu prenant. Sérénade (sixième mouvement du même opus) manque d'entrain. Ce n'est qu'avec le Scherzo de 1885 que le pianiste donne à nouveau le meilleur de lui, dans un jeu fort expressif et plein d'allant, presque ludique, et surtout sans lenteurs ni joliesses excessives.

Dans Balakirev, on retrouve la même contradiction. Le début de L’Alouette, paraphrase sur une mélodie de Glinka est entamé par un jeu très léger, mené à la surface du clavier – c'est chantant mais comme inhabité. Puis vient un bel enchaînement ou le musicien fait preuve d'une grande décontraction pour mieux délivrer une puissance de jeu inattendue, avant de céder à un nouveau contraste fort par un retour à la légèreté de l'introduction. Il en est de même avec Islamey, la célèbre Fantaisie orientale Op.18, où apparaît un enchaînement de sons bienvenu dans certaines parties, mais aussi de nouvelles finasseries et même un excès de pédale (sur la fin).

Le bis (Schubert-Liszt) est joué avec le même souci de faire sonner le piano de manière aussi chantante que possible, parfois au détriment de l’expressivité. Affaire de goût, sans doute… Si ce pianiste possède une technique sûre et une sonorité remarquable, l’interprétation laisse sceptique.

CA