Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Robert Expert
hommage à Bernard Yannotta via Stravinsky

Académie Festival des Arcs / Notre-Dame des Vernettes et Chapiteau Arcs 1800
- 24 juillet 2005
concerts à Notre-Dame des Vernettes, photo de Bertrand Bolognesi, 2005
© bertrand bolognesi

À son édition 2005, l'Académie Festival des Arcs donne une thématique rigoureuse, exigeante et passionnante, s’agissant d’explorer la musique de chambre d’Igor Stravinsky. L'ombre de cette personnalité en perpétuel mouvement semble idéalement regarder ces deux semaines où la jeunesse se confronte au savoir de professeurs, tous excellents musiciens, qu'elle retrouve chaque soir pour une nouvelle fête musicale, où les maîtres puisent à l'étonnante source d'énergie d'élèves qui, pour certains d'entre eux, s'engageront peut-être un jour dans cette belle aventure de la transmission. L'extrême curiosité et la diversité étonnante du parcours de Stravinsky répond à l'effervescence d'une telle académie.

Apprenant les événements d'Octobre lorsqu'il est en Suisse, le compositeur réfugie son inspiration dans l'influence de divers courants de pensée touraniens dont la fréquentation avait inspiré L'Oiseau de feu et plus encore Le sacre du printemps, œuvres qui, dans l'esprit de leur créateur, sont moins une tentative d'avant-garde que la recherche d'une Russie improbable d'avant Pierre I, Saint-Pétersbourg et l'« européanisation ». Aimant à croire que les acteurs de la Révolution redonneraient sa fantasmatique « slavité » à la terre natale, il écrira d'un enthousiasme plus vif encore Renard et Noces, pour se tourner définitivement vers l'occident à partir de 1922, lorsqu'il lui faudra renoncer à l'espoir non seulement de voir ses rêves s'accomplir mais de retourner un jour vivre à Petrograd. Dès L'histoire du soldat, la Russie est loin derrière, et la découverte active du jazz, de la musique baroque italienne et de la commedia dell'arte donne bientôt un tour nouveau à sa musique. C'est dire à quel point le néoclassicisme de Stravinsky est bien enraciné, avant même les régressions formelles qui le rendraient constatable au public !

Aborder l'éclectisme de cette production ne peut que s'avérer extraordinairement formateur, comme Bernard Yannotta le subodorait immanquablement en imaginant cette programmation. Venant s'ajouter à un hommage au Picasso de la musique du XXe siècle, notre arrivée aux Arcs est surprise par un concert tout récemment décidé, durant lequel Raphaël Chrétien, Louis Fima, Xavier Gagnepain, Alexis Galpérine et Olivier Massot ont une pensée émue pour celui qui dirigea longtemps Les Arcs et qui nous a quitté il y a quelques mois. La chapelle baroque Notre-Dame des Vernettes [photo] fait sonner une Suite pour violoncelle de Bach et l'Élégie pour alto de Stravinsky, avant de tâcher de retrouver le sourire avec Je te veux, la mélodie valsée de Satie, ici donnée dans une transcription fort élégante.

À vingt-et-une heures, retrouvons le Chapiteau d'Arcs 1800 où le contreténor Robert Expert introduit une soirée en majeure partie latine par quatre Mélodies d’Henri Collet – célèbre critique musical français passionné d'Espagne, terre qu'il parcourt en quasi ethnomusicologue, d'ailleurs ami de Manuel de Falla et membre du Groupe des Six – dans une interprétation sensible et expressive. Louis Fima donne ensuite la difficile Élégie que Stravinsky écrivit en 1944 (entendue cet après-midi) avant que le violoniste Christophe Mourguiart et Pascal Godart au piano s'engagent dans une exécution exemplaire du Duo en la majeur D.574 de Schubert (1817). L'Allegro moderato initial gagne un ton plus musclé qu'on s'y attend, de fort belle qualité, le violon risquant au mouvement suivant des pianississimi d'une délicatesse infinie, amenant en toute logique la tendresse partagée d'un Andantino évident que l'âpreté discrète de l'Allegro vivace, d'une excitante tonicité que mord l'accentuation parfois bondissante du pianiste, vient contredire de ses contrastes.

Soutenus par le piano coloré mais sans ostentation d’Antonio Soria, Elsa Maurus et Robert Expert partagent ensuite les Siete canciones populares españolas de Manuel de Falla, le pianiste espagnol offrant juste après une interprétation gentiment nuancée de La venta de los gatos Op.32 de Joaquín Turina. Avec une approche moins orchestrale que celle de son jeune collègue, le jeu de Soria offre l'avantage d'un équilibre précieux et d'un art de la nuance un rien pudique, caractères qu'une articulation rigoureuse dynamise jusqu'à la poésie la plus diaphane. La soirée s'achève avec le duo de Sesto et Cornelia du Giulio Cesare de Händel – quelque peu mis en péril par des questions de style abordées sans concertation efficace, semble-t-il.

BB