Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Pierre-Laurent Aimard
et samedi de la jeune création

Musica / Musée d'Art Moderne et TNS, Strasbourg
- 24 septembre 2005
Christian Creutz photographie Pierre-Laurent en récital au festival Musica 2005
© christian creutz

Après le précieux concours qu’il prêtait hier au concert d’ouverture du festival Musica [lire notre chronique de la veille], Pierre-Laurent Aimard ouvre le récital de cet après-midi (dans la Salle Koltès du TNS) par les Miniatures de Marco Stroppa – que nous évoquions en janvier dernier à l’occasion des concerts de la Semaine Stroppa du Théâtre du Châtelet, et à propos desquelles le compositeur s’exprimait alors pour nous [lire nos chroniques des 11, des concerts de matinée et de soirée du 12, 13 et 14 janvier 2005]. Si l’on peut dire que le pianiste dessinait hier les Notations de Boulez, il cisèle aujourd’hui la musique de l’Italien avec une précision médusante, avant de servir celle d’Elliott Carter à travers les Two Diversions écrites en 1999 dont il révèle clairement la structure. Suivent Shadowlines de George Benjamin, soit six préludes en forme de canons que nous entendions sous les doigts de leur auteur dans le cadre du festival Agora. On admire la définition extrême que Pierre-Laurent Aimard offre à chaque motif, bien que le trait soit parfois quelque peu forcé par un contraste gentiment pédagogique.

De Gaspard de la nuit de Ravel, il transcende Ondine d’un fin travail de couleur, conduisant ensuite Le gibet dans une lenteur terrible et judicieusement glaçante, avec laquelle la vilenie jubilatoire et sèche de Scarbo – ici, le gnome n’est pas espiègle, loin s’en faut ! – contraste d’autant plus. Enfin, au delà de l’affirmation de sa maîtrise incontestable de la musique de Pierre Boulez, le pianiste offre une interprétation sauvage et flamboyante de la Sonate n°1, soulignant à juste titre comme d’un coup de fouet sa radicalité qu’il convient de replacer dans le paysage musical de son temps, et qui reste d’une violence et d’une énergie inouïes près de soixante ans plus tard.

Autre rendez-vous chambriste de la journée : le premier volet des Samedis de la jeune création, imaginés, avec le soutien de la SACEM, par Musica et le FESAM afin de faire entendre des œuvres de jeunes compositeurs européens dans un cadre professionnel prestigieux. Le FESAM, Fonds Européen des Sociétés d’Auteurs pour la Musique, initiative engagée en 1993 par la SACEM et la GEMA, son équivalent allemand, bientôt suivie par les organismes similaires de quatre autres pays – AKM pour l’Autriche, SABAM pour la Belgique, SUISA pour la Confédération Helvétique et BUMA pour les Pays-Bas – s’est fixé pour mission de susciter et d’accompagner les compositeurs par un travail en réseau européen permettant production, diffusion et promotion.

Ainsi, en fin de matinée, à l’Auditorium du Musée d’Art Moderne, de cinq musiciens entendions-nous les travaux exécutés par les instrumentistes de l’ensemble Accroche Note. La création de Crac(k) de Sébastien Béranger n’a guère convaincu, cet auteur français de vingt-huit ans [lire notre chronique du 28 septembre 2003 à propos du Triangle de Pascal] ne prenant pas le risque d’affirmer vraiment sa personnalité dans cette courte pièce pour flûte en ut. De même la première audition française de Shall I revisit these same differing fields (Sonnet XX), trio pour violon, violoncelle et piano écrit par Xavier Dayer (Suisse) en 2001, qui choisit actuellement d’inspirer la quasi-totalité de son œuvre par la poésie de Pessoa (nous parlions dernièrement d’une génération de compositeurs guitaristes, à propos de création à Royaumont : Dayer, né en 1972, en fait partie) : réminiscences d’avant-guerre berlinoise pour la forme, de couleur ravélienne pour les timbres…

Les quatre extraits d’Eclipse Sound (en création) du Belge Renaud De Putter (né en 1967) jettent au fond du puits : que ce catalogue de procédés pianistiques empruntés à Obouhov, Roslavets, Scriabine et autre Stanchinski – magnifiquement joué, du reste, par Carine Zarifian – occupe un tiers du concert laisse rêveur. De l’Autrichien Reinhard Fuchs nous entendons Transkript (2001) pour voix et ensemble, jouant assez brillamment sur les chuchotements fragmentaires de Françoise Kubler, ici complice du piano, en les magnifiant par une partie de percussion contrastée. De Jérôme Combier, Accroche Note donne Petite obscurité pour flûte, clarinette, guitare, alto et violoncelle (2001) dans une articulation parfois ingrate.

BB