Chroniques

par david verdier

récital Pierre-Laurent Aimard
Johann Sebastian Bach et György Kurtág

Cité de la musique, Paris
- 26 septembre 2012

Ce récital, donné dans le cadre du cycle proposé par la Cité de la musique [sur les autres concerts, lire nos chroniques du 20 septembre, du 21 septembre et du 22 septembre 2012], est à la fois un choc et une interrogation. De toute évidence, Pierre-Laurent Aimard connaît son Kurtág, mais cela ne suffit pas à convaincre. La technique est bien là, au service de cette musique de l'intime et du spirituel, toujours sur le fil entre distanciation et beauté de la structure intrinsèque. Le problème vient du fait que le pianiste a cru (et croit certainement) aux vertus d'y adjoindre un Bach émacié et serioso, tout droit sorti d'un cours d'interprétation tel qu'il s'en prodiguait du temps de la Guerre froide, dans les conservatoires d'Europe de l'Est. Tempi lentissimes, contrepoint noyé sous la pédale, polyphonies languides… tout se déroule comme si le poids des mains semblait sous contrôle d'un bout à l'autre de la soirée.

Dès le Prélude et valse en do de Kurtág, le ton est donné. Couleurs bistrées et articulation en berne, pas un sourire – rien. Les notes tenues enchaînant dans la même tonalité les pièces de Bach et du Hongrois créent une sorte d'étouffement continu à ne jamais séparer les deux univers et pointer çà et là les changements à vue.

Le modeste Capriccio en mi majeur BWV 993 est joué avec la componction d'une esthétique surannée, les idées et les voix en permanence sur un même plan. Le Caprice sur le départ du frère bien-aimé n'est pas épargné. Une forme de respect paralysant fait que rien ne se passe dans ces enchaînements de saynètes à la Greuze. L'instrument se contente de résonner horizontalement, avec quelques accrocs quand les lignes se resserrent. Quelques figures à la main droite montrent le bout du nez (il faut les mériter), mais le paysage reste uniformément gris, sérieux et terne. Du Richter sans les doigts, en quelque sorte.

L'absence d'humour a parfois des vertus inattendues, notamment dans l'Hommage à André Hajdu, avec cette façon unique de parcourir le clavier d'un bout à l'autre sans une once de sentiment, ou les cellules déglinguées du Jubilate, en forme de miroir cassé avec cette surprenante ruade finale. La couleur très Hindemith des Versetto justifie l'enchaînement avec l'Offrande musicale malgré les précautionneux croisements de mains dans le thème royal.

Les basses brumeuses de Guillaume Apollinaire : l'Adieu contrastent avec les effets de cloche perpétuelle et les multiplications d'accords dans In memoriam György Szolcsányi. On renoue avec le plaisir d'écoute avec les accords glauques et ces reflets de vieil alcool dans la courte pièce écrite pour l'anniversaire de Dora Antal. C'est bien peu, en définitive.

L'interprétation introvertie crée une proximité inattendue avec une sonorité neutre, presque insipide. Le trait lent et diaphane des « petites » pièces de Bach détourne rapidement l'attention, tandis que les entrées pulsées et le jeu rectiligne du Contrepoint inversé n°12 de l'Art de la Fugue ou le Ricercar a 6 de l'Offrande musicale se bornent à produire une mécanique du vide.

Pas de bis (on serait tenté de dire « évidemment »), mais le sentiment d'un rendez-vous manqué, d'un soliloque de l'artiste avec lui-même qui nous aurait tenu volontairement éloigné.

DV