Chroniques

par gilles charlassier

récital Nicolas Dautricourt
œuvres de Bach, Gershwin-Schumacher, Scriabine et Sibelius

Théâtre du Ranelagh, Paris
- 7 décembre 2015
le violoniste Nicolas Dautricourt en récital au Théâtre du Ranelagh (Paris)
© dr

Bernard Magrez ne se contente pas d'aimer le vin (de Bordeaux). C'est aussi un mécène engagé, attentif aux nouveaux talents, ce qu’il démontre en offrant une tribune parisienne au violoniste Nicolas Dautricourt, au cœur des boiseries du Théâtre du Ranelagh et dans la continuité d'un enregistrement Sibelius qui vient de paraître.

Le récital s'ouvre cependant par la Sonate pour violon et clavier en si mineur BWV 1014 n°1 de Johann Sebastian Bach, aux côtés de Juho Pohjonen. À rebours des accentuations rythmiques, sinon des à-coups expressifs, que les « baroqueux » ont désormais élevés au rang de norme dans ce répertoire – même si le Cantor de Leipzig n'est pas systématiquement assujetti à cette esthétique – , le soliste fait valoir une souplesse de phrasé et un vibrato délicatement frémissant que d'aucuns pourront juger surannés, mais qui renvoient à une tradition d'élégance et de finesse que Francescatti, parmi d'autres, ont pu incarner.

À la veille du cent cinquantième anniversaire (jour pour jour) de Sibelius, le compositeur finlandais est mis à l'honneur, à travers des transcriptions pour effectif de chambre dues à Yann Ollivo. On reconnaît les teintes nordiques de cette musique qu'il serait regrettable de réduire au pittoresque, et la Sérénade en sol mineur Op.69 en témoigne remarquablement, quand les Humoresques, choisies dans le recueil de l'opus 87, affirment une appréciable condensation expressive, sans négliger l'intimisme, avant la Suite pour violon et cordes Op.117 qui se conclut sur les rythmes roboratifs d'un mouvement perpétuel, qu'il n'est nul besoin d'exagérer pour leur restituer leur saveur originale aux vagues réminiscences de Mitteleuropa.

Après l'entracte, Juho Pohjonen détaille les contrastes de la Sonate pour piano en sol # mineur Op.29 n°2 d’Alexandre Scriabine, aux couleurs étales du premier mouvement (Andante) avant un crescendo aussi tempétueux que maîtrisé. Sans céder à l'intellectualisme, la synthèse entre instinct pictural et sens de la construction ne se montre pas avare de qualités.

La fin de la soirée regarde vers un répertoire qu'il serait facile de considérer comme moins sérieux. Le Porgy and Bess revisited Project que Pascal Schumacher a tiré de l'opéra de Gershwin met en valeur les potentialités de la partition originelle, que le vibraphone de l'arrangeur magnifie admirablement. Quant aux extraits de Tantz confiés au Sirba Octet, ils referment la soirée sur des irrésistibles relectures de thèmes traditionnels juifs et tziganes. On ne saurait mieux se réjouir de ce cosmopolitisme artistique au parfum d'amitié musicale, auquel le public se montre, à juste titre, sensible [lire notre critique du CD Szymanowski].

GC