Chroniques

par irma foletti

récital Marie-Nicole Lemieux et Roger Vignoles
Goethe par Beethoven, Hensel-Mendelssohn, Schubert, Schumann et Wolf

Baudelaire par Charpentier, Chausson, Debussy, Fauré et Séverac
La Criée, Théâtre national de Marseille
- 5 novembre 2018
Marie-Nicole Lemieux chante Goethe et Baudelaire en récital à Marseille
© denis rouvre

Marie-Nicole Lemieux convie le public dans la grande salle de La Criée (Théâtre national de Marseille), pour un récital Goethe et Baudelaire, programme donné en tournée européenne sur cinq dates. La première partie est allemande, avec un démarrage un peu précautionneux pour Kennst du das Land de Robert Schumann, où l’intensité grandit au cours des trois strophes, suivi de Wie mit innigstem Behagen du même compositeur. La chanteuse tousse franchement entre les airs et plaisante avec les rares retardataires qui tentent de s’installer discrètement. Cette intervention casse un peu l’atmosphère du précédent Lied, mais se prête toutefois assez bien à l’ambiance plus sautillante de Der Musensohn de Franz Schubert qui suit. Le contralto canadien puise quelques notes dans son opulent registre grave, sans outrance ni altération de la tenue du style. À la fin de Ganymed, où le souffle est géré avec maîtrise pour assurer un legato bienvenu, l’artiste donne ses instructions à l’auditoire, demandant de n’applaudir qu’à la fin d’un groupe de Lieder : « …et à la fin du prochain, vous aurez droit ! ».

La séquence Schubert se termine avec Gretchen am Spinnrade, chanté avec de grands contrastes selon les mesures, la qualité du matériau vocal montrant une appréciable homogénéité sur l’étendue de la tessiture. Les Beethoven qui suivent sont délicat pour Wonne der Wehmut, puis plus agité dans Die Trommel gerühret où la soliste fait preuve d’un vigoureux abattage. On enchaîne avec la compositrice Fanny Hensel-Mendelssohn : Harfners Lied, puis Über allen Gipfeln ist Ruh, sublime et courte mélodie d’abord initiée au piano par le remarquable Roger Vignoles, puis détaillée en gracieux piani par Marie-Nicole Lemieux. À ce stade il faut tirer un grand coup de chapeau à l’accompagnateur hors classe, au toucher assuré à l’extrême, qui montre plein de caractère sur les brefs passages en solo du piano, mais sait aussi s’effacer pour se mettre au service de la tête d’affiche [lire notre critique du CD Chansons perpétuelles]. La première partie s’achève avec trois Lieder d’Hugo Wolf : Blumengruss, le plus joyeux Frühling übers Jahr, puis à nouveau Kennst du das Land où la question « Kennst du es wohl ? » reste en suspens, avant des « Dahin, dahin » plus rapides et puissants, le dernier étant émis sans vibrato, avec une force supplémentaire.

C’est au tour de Baudelaire, après l’entracte. Les deux artistes sont de retour, cheveux attachés et nouveaux bijoux pour Marie-Nicole Lemieux qui s’exclame « ravie de voir que vous êtes toujours là ! ». La diction est appliquée sur L’albatros d’Ernest Chausson, la mélancolie présente dans Chant d’automne de Gabriel Fauré, mais la voix est si large que les notes mezza voce ne sont pas exactement ineffables, une certaine intensité du son étant nécessaire pour pouvoir les soutenir. Dans Les hiboux de Déodat de Séverac, le ton est énigmatique, tout autant au piano que pour le chant, puis l’Hymne de Fauré redonne un peu de gaité, avant La mort des amants de Gustave Charpentier où le piano retrouve du volume. Le jet d’eau de Claude Debussy est une mélodie assez longue et plus trainante, nonchalante, où la chanteuse donne des piani plus naturels, certaines phrases dites dans un souffle, tandis que le pianiste colore efficacement l’atmosphère. Du même compositeur Recueillement démontre à nouveau les capacités de grave abyssal chez le contralto. Les deux derniers morceaux, signés Henri Duparc, sont encore plus connus : L’invitation au voyage dans une élocution très déliée, puis La vie antérieure où les passages forte sont plus convaincants que les mesures plus douces.

C’est terminé quant au programme. Avec humour, sans méchanceté aucune, Marie-Nicole Lemieux dit un au revoir aux spectateurs qui partent avant les rappels, mais voilà qu’elle interprète Heidenröslein de Schubert. Avant le second bis, elle prévient : « si vous voulez partir, partez parce qu’il est assez long ! ». Dommage pour les absents, l’extrait de Mignon d’Ambroise Thomas, Connais-tu le pays, est le sommet de la soirée : on sent l’interprète complètement dans le personnage, très habitée, s’appliquant encore plus sur sa ligne de chant, alternant délicatesse et puissance. C’est donc la troisième interprétation de Kennst du das Land de Goethe, mais en français, cette fois, dans la traduction de Gérard de Nerval où die Zitronen deviennent l’oranger.

IF