Chroniques

par irma foletti

récital Mariana Florès
Leonardo García Alarcón dirige sa Cappella Mediterranea

Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 25 septembre 2020
récital baroque du soprano argentin Mariana Florès au Festival d'Ambronay
© bertrand pichène

Le couple Mariana Florès et Leonardo García Alarcón est marié à la ville et en représentation, ce soir, au Festival d’Ambronay, soutenu par cinq musiciens de la Cappella Mediterranea, ensemble fondé en 2005 par le chef argentino-helvète. Avant le début du concert, ce dernier, en charge du clavecin et de l’orgue en plus de la direction musicale, prend la parole pour dire son émotion de revenir après cette longue période de silence, de partager à nouveau la musique avec le public : « vous nous manquiez, vous êtes notre respiration ». Le podium est placé au milieu de la nef, le public assis de part et d’autre. Sur le plateau, le soprano chante au centre, entourée des musiciens : d’un côté Margaux Blanchard (viole de gambe), Rodrigo Calveyra (flûtes à bec, cornet) et García Alarcón, de l’autre Marie Bournisien (harpe), Monica Pustilnik (archiluth, guitares) et Quito Gato (théorbe, guitares).

D’abord baroque, le programme convoque des compositeurs des XVIe et XVIIe siècles, en commençant par Francesco Cavalli et Mira questi due lumi, tiré des Nozze di Teti e di Peleo (1639). Une douce atmosphère se dégage des cordes pincées et de l’orgue, avant la mélodie principale à la flûte à bec. Mariana Florès déroule un recitar cantando où la voix s’envole dans la vaste abbatiale. Pour l’air suivant – Il bianco e dolce cigno de Jacques Arcadelt (1507-1568) –, la soliste se tourne à cent quatre-vingts degrés pour faire face à l’autre alignement de musiciens, si bien que l’ensemble des spectateurs se trouve à égalité pendant la durée du concert, en voyant la chanteuse à peu près constamment de profil. Se l’aura spira de Girolamo Frescobaldi propose davantage de rythme aux cordes frappées, clavecin compris, un air plutôt dansant accompagné par d’expressifs mouvements de bras de l’interprète.

Claudio Monteverdi enchaîne par un très doloriste Si dolce è il tormento, où le visage fermé et les poings serrés de l’artiste contrastent fortement avec le plus sautillant Ohimè ch’io cado, rythme presque saccadé où la voix projette plus fortement, accompagnée par force geste, index pointé, quelques petits pas de danse, la soliste tournant autour de son pupitre qui pivote en l’accompagnant de la main. Un vrai-faux petit détour, ensuite, par le XXe siècle à travers un Salve regina de la main même de Leonardo García Alarcón, sans s’écarter de la veine baroque des anciens. L’introduction à la viole de gambe de Margaux Blanchard est absolument magnifique. Bien développée, la partie vocale sollicite l’instrument sur toute son amplitude, du grave sombre aux aigus plus francs.

La Caotorta de Biagio Marini (1594-1663) est un air joyeux et bondissant, avant Dimmi, Amor, che faró de Cavalli aux paroles répétées à l’envi dans une forte intimité où le chant se fait piano. C’est encore plus le cas de Lamento della Ninfa de Monteverdi où la chanteuse varie nuances et puissance pour aller crescendo dans la douleur, dans l’intensité, et decrescendo quant au volume. C’est ici le cas, une voix qui s’éteint par instants, se meurt puis renaît pour crier sa souffrance, avant l’extinction finale. On alterne encore entre allégresse, avec O Rosetta de Monteverdi, et peine avec Che si puó fare de Barbara Strozzi, douloureux comme un lamento – souvenons-nous d’un passionnant concert dédié à la Padouane par les mêmes, quelques années plus tôt [lire notre chronique du 10 octobre 2008].

Une soirée baroque donc, voire super-baroque… mais pas seulement ! La dernière partie est réservée à des compositeurs des XXe et XXIe siècles, dans une continuité d’orchestration qui convient idéalement à ce répertoire. C’est l’Argentin Astor Piazzolla (1921-1992) qui ouvre le bal avec Chiquilín de Bachín : le théorbe installe immédiatement une atmosphère sud-américaine, le cornet fait office de trompette pour marquer certains climax, et l’extrait dégage beaucoup d’émotion, la voix flottant dans l’air. Après une petite sinfonia pour ménager un répit à la chanteuse, De vez en cuando la vida de Joan Manuel Serrat est charmant à la flûte à bec, avant Pasaje del olvido de Simón Díaz joué aux deux guitares, un splendide moment dans un appréciable silence de l’auditoire. On s’écarte plus nettement de la musique baroque avec Alfonsina y el mar d’Ariel Ramírez – un accompagnement de toute beauté par la guitare de Quito Gato –, avant La flor de la canela de Chabuca Granda, page relevant davantage de la catégorie chanson. Un bis est accordé à l’issue de ce programme généreux et très dense : Romerico florido de Mateo Romero (1575-1647) qui nous fait repartir – l’air de rien ! – plus de quatre siècles en arrière.

IF