Chroniques

par monique parmentier

récital Magdalena Kožená
lettere amorose

Théâtre des Champs Elysées, Paris
- 7 février 2011
Magdalena Kožená
© kasskara|dg

Si le programme Lettere amorose qu’offre en récital Magdalena Kožená ne contient aucune lettre d’amour, les madrigaux qu’elle a retenus (et qui ont fait l’objet d’un disque paru en octobre 2010) évoquent avec feu ce théâtre des passions qui donna naissance à l’opéra.

En robe mi-longue d’un rouge flamboyant et pieds nus, elle prend possession de la scène et des âmes subjuguées par la ferveur de son expressivité. Tout n’est que surprise, pour ne pas écrire stupeur, dans ce récital. Par des regards fougueux et rageurs, elle fait taire les premiers tousseurs en les bravant, pour mieux les captiver et les enchaîner.

Magdalena Kožená, revient avec bonheur au répertoire baroque qu’elle avait abordé en début de carrière. Elle propose une sorte d'anthologie de ces airs d'amour qui, au début du XVIIe siècle, redonnèrent aux mots la première place, celle d’une poésie qu’enlace la musique. Monteverdi est l’ombre tutélaire à laquelle emprunte le titre de cette soirée : La lettera amorosa est un madrigal qu’il composa sur un texte à l’érotisme fulgurant du Cavalier Marin. Il n’apparaît ici qu’avec deux airs : Si dolce è il tormento et Quel sguardo sdegnosetto. En convoquant des compositeurs moins connus, Magdalena Kožená permet de découvrir à quel point le madrigal est un théâtre où se joue, se masque, la tragédie d'aimer, annonçant ainsi un genre qui aime le sang et les larmes : l'art lyrique.

Entre épure et veine populaire, dès l'entrée en scène, c'est dans une ruelle ou face à un théâtre de tréteaux que nous nous trouvons. Le guitariste Pierre Pitzl, qui dirige l'ensemble Private Musicke, accompagne la cantatrice aussi bien au disque que dans la tournée qui s’ensuit ; il est le premier à entrer en scène, jouant de son instrument, suivi de Magdalena Kožená et des autres musiciens. Et l’air de rien, alors qu’au fond O bei lumi de Filipo Vitali semble encore bien tendre en ouvrant le concert, le doute s’installe sur ce que l’on entrevoit : une femme que la folie d’aimer va littéralement embraser.

Loin de la photo classieuse du CD, belle et précieuse – or, si souffrir fait créer le poète, c’est au prix d’une douleur dont la fascinante laideur est beauté –, Magdalena Kožená ose briser son image. Elle semble comme envoûtée par ce mal qui ronge chacun de ces poètes et musiciens. Dès le second madrigal, Cruda Amirilli de Sigismondo d’India, plus aucun doute n’est permis. Transfigurée par la mélancolie, la voix par ses couleurs les plus sombres exprime la fulgurante noirceur invoquée. Ainsi chaque air va littéralement broyer l’amoureux, l’amertume devenant folie.

Jouant de toute sa tessiture, le mezzo-soprano fait de chaque madrigal un drame qui ébranle, inquiète ou trouble. Les aigus se transforment arme blanche qui, cruelle, brille à en brûler qui en perçoit les feux. Les graves profonds deviennent des abîmes, véritable enfer guettant le philosophe en proie à la passion dans L’Eraclito amoroso de Barbara Strozzi où, sur une basse obstinée qui descend progressivement, l’amant sombre dans les plus noirs délices de la douleur.

Retrouvant la simplicité des origines, Magdalena Kožená livre une interprétation dépouillée, toute en nuances, mais ô combien tragique des affects. Dans cette musique du premier baroque où la blessure s'exprime entre dissonances et présence scénique, les mots rencontrent une grande liberté. Bouleversante dans les pages de Claudio Monteverdi, Kožená révèle les couleurs les plus tendres de ce moment, et, en un soupir ardent, les plus sensuelles.

Les musiciens de Private Musicke, ensemble baroque autrichien à cordes pincés et frottées, procurent par leur fougue un accompagnement qui répond à la violence des sentiments, fait de lumière franche, directe et crue. En revanche, un manque de rondeur, de couleur et d’une texture plus riche de la basse continue montre qu’il n’est peut-être pas encore tout à fait prêt à soutenir une interprète de ce niveau.

Le public parisien ne s’y trompe pas en faisant une véritable ovation aux artistes qui le remercient par trois bis à clore une soirée dont le temps passa trop vite.

MP